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Knock on Wood

le prêt à penser et les minorités agissantes

1 Novembre 2019 , Rédigé par Ipsus Publié dans #Dans L'AIR DU TEMPS

 La cage aux phobes sera-t-elle assez grande ?

 Dès 1999, le si clairvoyant Philippe Muray avait trouvé une fantastique expression pour décrire le recul de la liberté d'expression.

Les amis de la liberté d'expression gémissent de nos jours sur la multiplication des accusations de « phobie », qui pourrissent les débats. Un mot sur le voile islamique, et vous voilà islamophobe. Un autre sur la GPA, et vous voilà homophobe, ou transphobe, ou les deux, comme Sylviane Agacinski que des agités du bulbe viennent d'empêcher, au nom de ces deux tares, d'aller causer à Bordeaux. (Comme ils l'accusent aussi d'être une fieffée réactionnaire, elle peut s'enorgueillir de faire le grand chelem.) D'un côté, il est exact que cette épidémie de phobies, au sens de délits d'opinion, stérilise toute discussion ; on n'ose rien dire, par peur de l'étiquette. D'un autre côté, il faut avouer que ces phobies sont pratiques : elles permettent de savoir en un clin d'œil quel sujet éviter, si l'on veut ne froisser personne et se tenir à l'abri des insultes. C'est facile : dès qu'un thème a donné lieu à un substantif avec suffixe en « phobie », c'est qu'il est miné, et qu'on n'y exercera son droit de critique qu'à ses risques et périls, avec l'assurance de recevoir des seaux de boue sur la tête. Alors que s'il n'y a pas de suffixe, la voie est libre. L'islam, sujet interdit, repérable au suffixe phobie : islamophobie ; l'industrie chimique, sujet ouvert, car la chimicophobie n'existe pas.

Il arrive que le suffixe identificateur varie : dans certains domaines, comme le réchauffement du climat (et non réchauffement climatique, comme on dit), ou la construction européenne, on ne parle pas de phobie, mais de scepticisme. Un individu qui tient des discours hétérodoxes sur le climat n'est pas climatophobe, mais climatosceptique ; un adversaire de l'Union européenne n'est pas europhobe – quoique l'étiquette se rencontre –, mais eurosceptique. Aucun islamophobe, en revanche, n'a jamais été qualifié d'islamosceptique (dommage, ce serait une nuance intéressante). Globalement, il semble que le scepticisme soit moins grave que la phobie : les climatosceptiques, par exemple, ne sont pas très bien vus en société, mais ils sont loin d'atteindre le niveau d'infamie de l'islamophobe et de l'homophobe, ces ennemis du genre humain. Ça ne durera peut-être pas. Je serais climatosceptique, je surveillerais mon suffixe : le jour où naîtra le mot climatophobe, ils sauront qu'il est temps de se faire oublier.

Inventons le débatocide, ou action de tuer le débat

Le regretté Philippe Muray, avec son sens du calembour, disait que nous vivons dans la cage aux phobes. C'était en 1999, dans une chronique de La Montagne. « S'il y a quelque chose qui marche très fort, en ce moment, et qui marchera de plus en plus, c'est la chasse aux phobes. À tous les phobes. » On ne peut pas dire qu'il manquait de clairvoyance. En même temps, j'observe que les phobies ne sont pas toutes pourchassées sur un pied d'égalité. La grossophobie, par exemple, revient régulièrement sur le tapis, mais on ne peut pas vraiment dire que la sauce prenne. Je me demande si, contrairement à ce que suggérait Muray, la cage aux phobes est assez grande pour tout le monde. Peut-être qu'une nouvelle phobie ne peut y faire son trou qu'en en chassant une autre. À ce compte, je comprendrais l'énergie déployée par les antiphobes dominants pour conserver l'avantage ; il ne faudrait pas se laisser chiper la place par des causes concurrentes. À moins qu'il faille parier sur l'intersectionnalité des phobies ?

 Suffixe pour suffixe, Mme Agacinski, accusée d'homophobie, pourrait traiter ses accusateurs de débatocides : ils tuent le débat. J'imagine qu'elle aime trop la langue française pour utiliser un mot aussi laid. Comme je l'aime aussi, j'espère qu'on n'ira pas inventer pour moi le mot phobophobe. 

Ils sont nombreux, ceux qui n'ont pas droit aux pétitions et aux tribunes, aux communiqués et aux soutiens artistiques, à l'honneur d'un article dans le Monde ou à la solidarité dans Mediapart !

Ils sont nombreux, ceux dont on ne parle jamais parce qu'ils n'ont pas les infortunes rentables.

A tous ceux qui n'auront jamais droit, dans leur malheur créé par une malfaisance aux multiples visages, à la considération symbolique et à la compassion de ceux qui ont l'indignation et la médiatisation fragmentaires, orientées, hémiplégiques.

Je n'aime pas la minorité française de la lumière qui tient pour rien ou oublie la majorité de l'ombre.

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