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Knock on Wood

France à 2 Vitesses et Pass Sanitaire : éléments juridiques de réflexion

20 Juillet 2021 , Rédigé par Ipsus Publié dans #JURIDIQUE , Fiscal & Partenariats

Pass sanitaire : Le gouvernement gagne la bataille constitutionnelle, sans convaincre les opposants

 

ÇA PASSE 

Le Conseil constitutionnel a validé la quasi-totalité de la loi qui étend notamment le pass sanitaire, presque sans surprise

Pass sanitaire: l’exécutif sur un fil

Le Parlement a adopté dimanche le projet de loi sur l’extension du pass sanitaire. Le Conseil constitutionnel rendra son avis le 5 août, ce qui permettra l’entrée en vigueur du texte le 7 août au plus tôt avec la promulgation et la publication des décrets au journal officiel.

Le règlement européen du 14 juin 2021 interdit les discriminations à l'encontre des personnes ne souhaitant pas se faire vacciner  

Le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne ont adopté un Règlement n° 2021/953 du 14 juin 2021, publié au Journal officiel de l’Union européenne le 15 juin 2021.

Le juge devra écarter la loi comme étant non conforme au règlement du 14 juin 2021 

Pour rappel, le droit européen bénéficie d’un effet direct, en sorte que les justiciables peuvent invoquer directement une norme européenne devant une juridiction nationale ou européenne. 
Cela est encore plus vrai pour les Règlements qui, à la différence des Directives nécessitant un mécanisme de transposition en droit interne, disposent toujours d’un effet direct « complet » (CJCE, affaire n° 43-71, Politi / Italie, 14 décembre 1971). 

Le Règlement du 14 juin 2021 a donc la force obligatoire et contraignante que la Résolution de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe n’a pas. 

Il convient désormais d’analyser son application et son articulation en France, notamment en ce qui concerne le projet d’extension du pass sanitaire à plusieurs activités de la vie quotidienne. 

Depuis sa Décision du 15 janvier 1975, le Conseil constitutionnel se déclare en effet incompétent pour contrôler la conformité d’une Loi à une norme internationale, limitant ainsi son office au contrôle de la conformité d’une telle Loi à la seule Constitution (Décision n° 74-54 DC du 15 janvier 1975, Loi relative à l'interruption volontaire de la grossesse). 

Pour autant, il a renvoyé aux Juges ordinaires le soin d’opérer eux-mêmes ce contrôle (Juge judiciaire et Juge administratif). 

Ce que la Cour de cassation a accepté sans difficulté dans son célèbre arrêt Jacques Vabre (C. Cass., Ch. Mixte, 24 mai 1975, n° 73-13.556). 

Ce que le Conseil d’Etat a également accepté au terme de son arrêt Nicolo (CE, 20 octobre 1989, n° 108243), ayant même été jusqu’à étendre le contrôle de la Loi, non plus uniquement par rapport à un Traité, mais aussi par rapport aux deux normes de droit dérivé que sont les Règlements (CE, 24 septembre 1990, Boisdet, n° 58657) et les Directives (CE, 28 février 1992, SA Rothmans International France et Philip Morris, n° 56776/56777). 

De ce qui précède, le Juge judiciaire et le Juge administratif exercent un contrôle de conventionnalité des Lois, et se doivent donc d’écarter les normes internes contraires à des normes de droit primaire ou de droit dérivé, et notamment d’écarter une Loi incompatible avec une norme européenne

Aussi, et quand bien même le Conseil constitutionnel ne saurait contrôler la conformité de cette Loi au bloc de constitutionnalité, il serait bien inspiré de se référer au Considérant 62 du Règlement, rappelant qu’il « respecte les droits fondamentaux et observe les principes reconnus notamment par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après dénommée "Charte"), en particulier le droit au respect de la vie privée et familiale, le droit à la protection des données à caractère personnel, le droit à l’égalité devant la loi et le droit à la non-discrimination, la liberté de circulation et le droit à un recours effectif. Les États membres sont tenus de respecter la Charte lorsqu’ils mettent en œuvre le présent règlement ».

L'objection de conscience n'empêche pas le licenciement

Pour Xavier Dulin, deux cas pourraient, en réalité, ouvrir la porte à un licenciement immédiat: celui de l'opposition de principe du salarié lorsque la suspension du contrat ne fait que retarder une situation intangible. Et celui d'un problème d'organisation qui mettrait l'entreprise dans de grosses difficultés économiques. Des motifs qui seront, là aussi, librement appréciés par la justice.

En revanche, il existe un flou juridique avec le texte tel qu'il a été adopté. Le régime transitoire de sortie progressive de l’état d’urgence, qui devait être prorogé par le projet de loi au 31 décembre, a finalement été limité au 15 novembre et le pass sanitaire avec lui. Que se passera-t-il dès lors pour les salariés toujours suspendus? cela ouvre-t-il la porte à un licenciement plus aisé pour l'entreprise? Difficile à dire pour le moment.

Dernière enjeu: le code de Santé publique prévoit une disposition particulière sur les objections de conscience. Selon son article L1111-4, "aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment."

Or, peut-on retenir ce consentement sur des vaccins aussi récents? Les salariés récalcitrants pourront probablement user de cet article juridique mais cela n'empêchera pas le licenciement, prévient Xavier Dulin. "Il s'agira alors d'un licenciement pour motif personnel non disciplinaire" indique-t-il.

 

La conformité du pass sanitaire français au droit de l’Union européenne n’a rien d’évident. La portée très large de ce pass cause en effet d’importantes entraves au droit à la libre circulation des citoyens des autre États membres. La première concerne l’exercice même de la liberté de se rendre en France et d’y séjourner, par exemple pour ses vacances. En exigeant la présentation du pass sanitaire pour accéder au territoire, la loi française restreint sans aucun doute cette liberté. Si elle est la plus évidente, cette restriction n’est toutefois pas la plus problématique.

Tant le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne que la directive 2004/38 qui réglemente l’exercice du droits des citoyens européens de circuler reconnaissent la possibilité aux États membres de limiter l’accès à leur territoire pour des raisons de santé publique. En l’occurrence, l’objectif consistant à limiter la reprise de la pandémie, conjugué à l’importante marge d’appréciation dont jouissent les États membres sur les questions sanitaires, est sans doute de nature à justifier une telle entrave.

 

Une double différence de traitement

La seconde restriction concerne l’accès aux lieux de détente et de loisirs. Celle-ci emporte une entrave au droit des touristes étrangers à la libre prestation des services. Ils ne peuvent en effet plus accéder librement aux services fournis dans un restaurant, un parc zoologique ou une salle de cinéma. Du point de vue du droit de l’Union européenne, cette entrave est plus grave que la première parce qu’elle s’accompagne d’une double différence de traitement. D’une part, les résidents étrangers non totalement vaccinés devront dès à présent, et contrairement aux ressortissants français, payer les tests leur permettant d’établir leur non-contamination. D’autre part, un test positif entraînera une obligation d’isolement de dix jours sur le lieu de résidence déclaré lors du test. Si elle s’applique aux "locaux" comme aux touristes, cette obligation pèse de facto plus lourdement sur les seconds, qui auront potentiellement bien du mal à demeurer dix jours sur leur lieu de villégiature, pour des raisons de coût, mais aussi de disponibilité de l’hébergement loué. De telles différences de traitement sont-elles conformes au droit de l’Union ? Il est permis d’en douter. S’agissant de la première, la directive 2004/38 impose l’égalité de traitement entre nationaux et citoyens européens résidant légalement sur le territoire. Cette égalité s’impose "dans le domaine d’application du traité", ce qui, à lire la jurisprudence de la Cour de justice, semble couvrir toute situation qui, comme en l’espèce, entraîne une restriction à une liberté de circulation.

 

Discrimination sur base de la fortune et droit à une vie sociale

Selon la directive, cette égalité souffre une seule exception: un État membre n’est pas tenu d’accorder aux citoyens des autres États membres de droit à une prestation d’assistance sociale pendant les trois premiers mois de leur séjour. Il est toutefois douteux que la gratuité des tests PCR et antigéniques bénéficie de cette exception. Elle ne constitue pas une prestation d’assistance sociale au sens que la Cour de justice a donné à ce terme, à savoir des régimes d’aides institués par des autorités publiques auxquels a recours un individu qui ne dispose pas de ressources suffisantes pour faire face à ses besoins élémentaires. S’agissant de la seconde distinction de traitement, elle n’est pas le résultat d’une différence de régime formelle entre nationaux et ressortissants étrangers. Elle échappe donc sans doute à l’interdiction de la directive. Mais son impact discriminatoire a pour effet d’aggraver la restriction à la libre prestation des services mentionnée plus haut. Une restriction à ce point sérieuse ne pourra être acceptée qu’au terme d’une examen serré du bien-fondé de la mesure. Or, ce bien-fondé est questionnable, pour au moins trois raisons. Premièrement, et indépendamment de son effet sur la libre circulation des citoyens européens, le pass sanitaire entraîne de sérieuses restrictions aux droits fondamentaux de tous les citoyens. On songe ici non seulement au droit à la vie privée et familiale – qui implique le droit à une vie sociale – mais aussi à l’interdiction des discriminations sur la base de la fortune (pour les personnes qui ne peuvent se permettre de payer des tests de façon régulière) et du handicap ou de l’état de santé (s’agissant de personnes qui ne peuvent pas être vaccinées). La question des droits des enfants (pour lesquels le bénéfice de la vaccination est le moins évident tandis que les barrières à la vie sociale sont les plus néfastes) mérite elle aussi d’être posée.

Deuxièmement, des restrictions aux droits fondamentaux doivent être prévues par une loi suffisamment accessible et prévisible. Or, les innombrables zones de flou entourant l’application du pass sanitaire et son entrée en vigueur quasi immédiate (privant le public non vacciné de la possibilité de se faire vacciner suffisamment vite pour échapper aux tests) laissent penser que ces qualités font, en l’occurrence, défaut.

 

Propagation souterraine

Troisièmement, il n’est pas certain que cette mesure puisse être raisonnablement justifiée par un objectif de santé publique. D’une part, elle risque de ne pas être efficace. L’obligation d’isolement aura probablement pour effet de dissuader certains citoyens – et en particulier les ressortissants étrangers – de se faire tester, accentuant ainsi le risque d’une propagation souterraine du virus. D’autre part, l’interdiction de fréquenter des lieux en plein air tels que des terrasses, même muni d’un masque, alors que des personnes vaccinées – dont il est établi qu’elles peuvent transmettre le virus – peuvent y accéder sans masque paraît difficilement justifiable au regard de l’objectif poursuivi. On rétorquera peut-être que le but premier de la mesure est d’inciter à la vaccination, laquelle contribue à la protection de la santé publique. Si tel est le cas, alors la vaccination obligatoire représente sans doute – et paradoxalement – une mesure moins attentatoire tant aux libertés de circulation qu’aux droits fondamentaux que le pass sanitaire. En logeant tout le monde à la même enseigne, une telle obligation supprimerait les discriminations et les incertitudes. En outre, elle prévoirait une période raisonnable pour s’acquitter d’une telle obligation, ainsi que des exceptions pour raison de santé. Enfin, et surtout, elle obligerait l’État français à appeler un chat un chat et à prendre ses responsabilités – sur un plan politique comme judiciaire –, en acceptant de couvrir les risques liés aux éventuelles incertitudes scientifiques entourant une telle vaccination plutôt que de le faire peser sur le consentement de moins en moins libre et rarement éclairé de ses administrés et des touristes étrangers.

>>> (*) Signataires : Antoine Bailleux, professeur de droit européen à l’Université Saint-Louis – Bruxelles ; Didier Blanc, professeur de droit public à l’Université Toulouse 1 – Capitole ; Emmanuelle Bribosia, professeur de droit européen à l’Université libre de Bruxelles ; Anastasia Iliopoulou-Penot, professeur de droit public à l’Université Panthéon-Assas ; Arnaud Van Waeyenberge, professeur de droit européen à HEC Paris ; Lamprini Xenou, maître de conférences en droit public à l’Université Paris-Est Creteil.

« ​Il est possible de limiter les libertés publiques et de porter atteinte à l’égalité entre citoyens pour des motifs d’intérêt général – ici la jugulation de l’épidémie ​», poursuit l’expert. Mais pour respecter la constitution, chaque mesure doit respecter trois critères : être nécessaire (ne pas constituer une restriction de libertés qui, si épargnée, aurait produit un effet équivalent), appropriée (qu’il y ait un lien direct entre la mesure et la diminution de l’épidémie), et proportionnée. « Le cœur de la réflexion sur la constitutionnalité du texte se base essentiellement sur l’évaluation de la proportionnalité ​»,ajoute Benjamin Morel,maître de conférences en droit public à l’Université Paris II

« ​qu’est ce qui permet de déterminer que prendre le TER pendant 45 minutes (sans pass) ne pose aucun problème sanitaire par rapport à un trajet en TGV de 3 heures (avec pass) ​? ​».

. De son côté, Serge Slama, codirecteur du master droit des libertés à l’Université de Grenoble Alpes, ne comprend pas que le texte prévoie le passe sanitaire obligatoire pour les malades allant à l’hôpital pour des soins programmés

Un autre point très sensible est le sort des employés travaillant dans des établissements accueillant du public, dont le contrat pourra être suspendu s’ils n’ont pas de pass sanitaire. « ​

La disposition la plus problématique est l’isolement automatique des personnes testées positives à la Covid-19.

Enfin, les sénateurs ont créé un délit spécifique pour sanctionner pénalement les étrangers visés par une obligation de quitter le territoire, qui refusent de faire le test PCR demandé par leur pays de destination.

Quels sont les aspects du Pass sanitaire qui posent problème, selon vous?

En substance, le droit à la protection des données n’est pas un droit absolu, il doit être considéré par rapport à sa fonction dans la société et mis en balance avec d’autres droits fondamentaux conformément au principe de proportionnalité. L’extension des cas d’usage du pass sanitaire à toutes nos activités quotidiennes met à mal la proportionnalité du dispositif tels qu’il résultait des précédents décrets et ce d’autant que ce décret amène à révéler des données de santé et des données de l’état civil pour quasiment l’ensemble de nos activités sociales. Il s’agit ainsi de violation de la vie privée, de la liberté d’aller et venir avec un glissement d’une logique de liberté à une logique de déclaration préalable et systématique, aboutissant à une surveillance continue et permanente.

Or non seulement le Décret viole l’article 1er de la loi en vigueur de gestion de crise sanitaire, en passe d’être remplacée sous peu, mais surtout l’article 9 du règlement général sur la protection des données (RGPD) en ce qu’il prévoit la mise à disposition à n’importe quel tiers de nos données de santé.

L’on assiste, ce faisant, en pratique à une délégation des pouvoirs de police à des personnes privées,cafetiers,guichetiers etc.…, investis de missions de contrôle général de nos identités, ce que la loi prohibe. Et ce d’autant qu’en pratique cela s’avère sur le terrain contreproductif voire générateur de frictions et de vulnérabilités pour des segments entiers de la population et de l’économie. En outre n’importe qui, sans aucune difficulté, peut avoir accès à vos données médicales qui peuvent être exploitées pour classer les citoyens devenus prioritaires ou pas. N’y a-t-il pas une évidente disproportion à étendre le passe sanitaire aussi élargi à nos enfants, au risque de générer d’autres vulnérabilités?

Enfin, L’état n’a pas jugé utile de se livrer à une vraie analyse d’impact, c’est-à-dire à un audit technique et juridique sur la sécurité et compliance du dispositif compte tenu des risques pour les droits et libertés des personnes alors que cette étape est une étape clé. La CNIL aurait eu le temps de jouer son rôle en amont et de solliciter les garanties d’usage. Cette pédagogie, en termes de politique sanitaire, est essentielle pour la compréhension et lisibilité de dispositifs aussi intrusifs, elle participe d’une gouvernance apaisée des territoires et d’une confiance partagée laquelle ne se décrète pas mais se prouve.

Agissez-vous dans le cadre d'une action collective?

Notre association souhaite à ce stade que l’encadrement de ce dispositif soit clarifié et qu’une grille de lecture soit apportée par le Conseil d’État

 l’article 8 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme protégeant le droit à la vie privée et familiale a développé une jurisprudence très protectrice de la sphère privée, laquelle comporte notamment le droit à l’autodétermination et la santé.

Néanmoins, un arrêt de la Grande chambre de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) daté du 8 avril 2021 statue sur la vaccination obligatoire des enfants pour accéder à l’école en République Tchèque. La plus haute juridiction européenne estime que la vaccination obligatoire des enfants, ne constitue pas une violation des dispositions de l’article 8 de la Convention européenne sur le droit au respect de la vie privée. En effet, elle considère que la vaccination obligatoire est « nécessaire dans une société démocratique ».

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