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Knock on Wood

Après la Lettre : Gilets Jaunes , Etats Généraux , Référendum : quelle Gouvernance pour le monde qui vient ?

10 Mars 2019 , Rédigé par Ipsus Publié dans #GEOPOLITIQUE, #Dans L'AIR DU TEMPS, #Réformes - Relance et Elections

 La crise bien française des « gilets jaunes » s'inscrit dans un mouvement mondial.

Les repères politiques classiques de droite et de gauche, issue de la révolution industrielle, ne correspondent plus au deuxième âge des machines, celui porté par la révolution numérique.

Il est temps d'inventer un nouveau contrat social et civilisationnel.

La contestation des « gilets jaunes » s'inscrit dans la tradition de la culture française, son côté gaulois si on peut dire.

On pense évidemment à 1789 après que le roi Louis XVI eut convoqué les états généraux en janvier de cette même année et aux flux de cahiers de doléances (là, la séquence est inversée),

mais aussi à la révolution de 1848, aux manifestations de février 1934 ou encore de mai 1968.

Tout cela est assez récent et rythme l'histoire des temps modernes depuis la première révolution industrielle, qui commence au moment des révolutions américaines et françaises.

Il ne fallait pas être grand chaman pour savoir ce qui allait se passer après le Brexit et la multiplication des démocratures dans le monde.

En France, le « dégagisme » sanctionne les alternances de dépit entre la gauche et la droite avec les quinquennats de Nicolas Sarkozy et de François Hollande, traduisant la saturation d'une forme de gouvernance arrivée à son plafonnement asymptotique, deux décennies après que Jacques Chirac eut parlé de fracture sociale, puis de fracture numérique et d'urgence écologique... sans rien faire.

Après la Lettre : Gilets Jaunes , Etats Généraux , Référendum : quelle Gouvernance pour le monde qui vient ?
Après la Lettre : Gilets Jaunes , Etats Généraux , Référendum : quelle Gouvernance pour le monde qui vient ?

Le Brexit, dont la dramaturgie se joue encore, marque une rupture : les peuples ne font plus confiance à leurs gouvernants nationaux et encore moins à l'Europe.

Nous avons basculé dans le jeu dangereux de l'ultimatum.

Un peu d'anthropologie, d'éthologie et d'économie comportementale : dans ce jeu, deux personnes participent et connaissent parfaitement les règles, fort simples. Un des deux joueurs est choisi au sort. On lui donne une somme d'argent et il doit proposer un partage à l'autre joueur ; disons 100 euros. Si le second joueur accepte, chacun part avec ce qui a été convenu ; s'il refuse, les deux n'ont rien. Toutes les études faites parmi des populations humaines - et de singes - décrivent des propositions acceptées autour de 35 à 45 %. Mais si la proposition se fait trop à l'avantage du diseur, l'autre refuse et on bascule de je-gagne-beaucoup-tu-gagnes-peu à tu-perds-beaucoup-je-perds-peu.

Les peuples acceptent d'avoir moins que ceux qui les gouvernent, mais en respectant les règles du jeu. Sinon, on bascule et c'est là qu'arrivent toutes les populismes.

D'un point de vue anthropologique, on voit les peuples choisir, sans trop d'illusion, des représentations passées de gouvernances : Poutine et le tsar, Xi Jinping et l'empereur, Erdogan et le sultan, Orban et le voïvode, Trump et le « big man », Theresa May et la spécificité anglaise pour les femmes de pouvoir...

Chez nous, c'est Bonaparte.

 

 

 

 

Nouveau contrat social

Le monde se cherche un nouvel avenir. Pour la première fois depuis deux siècles, depuis les révolutions américaine et française, les propositions alternatives de la gauche et de la droite sombrent avec la fin de l'idée de progrès, née avec le premier âge des machines. Un nouveau contrat social et civilisationnel doit émerger avec le deuxième âge des machines, celui porté par la révolution numérique.

Car l'anthropologue s'étonne que, malgré Adam Smith, Karl Marx et Joseph Schumpeter et, plus récemment, Jeremy Rifkin ou encore Andrew McAfee et Erik Brynjolfsson - analystes attentifs des conséquences sur le travail et la société des révolutions technologiques -, nos sociologues et nos politiques n'aient rien vu venir.

Sociologiquement, les « gilets jaunes » ne représentent pas les plus pauvres ou les chômeurs. En termes de revenus, ils se situent juste en dessous du revenu médian des ménages français, mais compte tenu de l'érosion des classes moyennes, ils se savent au bord du gouffre. L'érosion des classes moyennes est connue depuis plus d'une décennie - d'après une étude du MIT, ce serait la conséquence du déploiement de la micro-informatique sur fond de délocalisation au cours des deux dernières décennies du XXe siècle.

Nouveaux états généraux

Les Etats-Unis ont une longueur d'avance, comme le montrent la Californie et ses Gafam. L'Etat le plus riche des Etats-Unis, et parmi les premiers du monde, héberge le plus grand nombre de milliardaires et de pauvres. La « gig economy » décrit comment les personnes multiplient les petits boulots mal rémunérés et avec des horaires indécents. Certes, les plus pauvres sont moins pauvres qu'avant, mais il s'agit là d'inégalités. Elles ne résultent pas d'une volonté des acteurs des Gafam ou de Hollywood, mais d'un changement socio-économique radical.

Alors, vive les « gilets jaunes » et, plus précisément et noblement, le peuple français et sa prise de conscience, par-delà les excès parasitaires - les casseurs et les vieux chevaux de retour. Et il faut y répondre rapidement. Lors des dernières élections, nous avons été la seule nation à esquisser une possibilité de changement en élisant un président jeune et qui, quoi qu'on en dise, a pas mal perçu le ras-le-bol des gouvernances surannées et sclérosées, mais sans peut-être mesurer les bouleversements sociétaux déjà en cours.

C'est bien pour cela que le monde entier a salué cette élection, sentant plus ou moins que ce jeune président et le peuple français pourraient ouvrir le chemin d'un avenir souhaitable. La presse internationale louait ce choix, la même commence à douter. Je fais confiance au discours du président, dernier espoir pour de nouveaux états généraux. Tous les rôles vont changer, pour les politiques, pour les partenaires sociaux, pour les entreprises, pour les organisations non gouvernementales et des plus petites communes à l'Etat. Nos sociétés ne perdureront pas avec de telles inégalités entre nations et au sein des nations -  où, au passage, elles restent encore le moins marquées en Europe et en France. C'est notre chance.

La France est la France, gauloise et révolutionnaire. Sans aucune grandiloquence, le monde nous regarde et si ce quinquennat échoue dans cette immense tâche, alors je crains pour la prochaine étape de l'évolution humaine.

Pascal Picq est paléoanthropologue et maître de conférences au Collège de France.

Dernier ouvrage : « Qui va prendre le pouvoir : les grands singes, les hommes politiques ou les robots ? », Odile Jacob 2017.

Pascal Picq : D'abord, j'ai écrit ce livre pour montrer que les questions qui nous concernent vivement aujourd'hui, que ce soit le rapport à l'économie, à la redistribution, à la gouvernance, à l'écologie, aux dominations des femmes ou des genres…, se retrouvent aussi chez les autres espèces. Je tiens à préciser que les données évoquées dans chaque portrait sont scientifiques et récentes. Je ne fais pas d'anthropomorphisme, je n'ai pas le génie de La Fontaine. Je pars de l'animal pour aller vers le candidat, en faisant des rapports analogiques. Et ça marche très bien. Le singe hurleur, comme Marine Le Pen, passe son temps à crier pour marquer son territoire et réaffirmer sa position sociale. Le capucin, lui, est très innovant, très vif et intelligent. C'est aussi un agent économique rationnel, ce qui correspond bien à Emmanuel Macron. Et ce n'est pas un hasard si les deux singes qui restent en compétition proviennent du Nouveau Monde.

 

Alors, les robots risquent de prendre le pouvoir ...?

Le danger n'est pas celui des robots, comme dans Terminator, c'est le fait que nous allons nous engager dans une paresse intellectuelle et physique. Les robots ne vont pas prendre le pouvoir, mais si, en raison de la facilité apportée par l'intelligence artificielle, nous cessons d'être actifs physiquement et intellectuellement, nous allons nous mettre nous-mêmes en état d'esclavagisme, de dépendance. C'est ce que La Boétie appelle la servitude volontaire. Un environnement terriblement efficace et prédictif par rapport à nos désirs immédiats pourrait nous faire perdre les capacités cognitives, de réflexion et physiques très élaborées qui nous ont amenés à la conquête du monde. Nous pourrions alors perdre ce qui a fait l'homme depuis 2 millions d'années.

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