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Knock on Wood

Russie , Poutine , islamistes et Roman du siècle rouge

1 Octobre 2012 , Rédigé par Ipsus Publié dans #EUROPE de l'Atlantique à l'Oural

Géopolitique : les islamistes peuvent-ils gagner ?
Russes et Américains feront-ils front commun contre l’islamisme ou celui-ci redeviendra-t-il, comme au XXe siècle, un levier de leur affrontement ?
L’enjeu syrien : les arriérés d’une longue histoire;
 Alexandre Adler et Vladimir Fédorovski confrontent leurs hypothèses.   http://goo.gl/bRMbz
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Russie & V.Poutine : Vladimir Fédorovski et Alexandre Adler prédisent la fin de règne du tsar.  http://bit.ly/yuJYUn

alexandre_adler_invite_25fev2012_1.jpg  video     http://bcove.me/w5wlvd7o

Une élection pour rien ?

Si la présidentielle de dimanche prochain mobilise les foules, son issue ne laisse pas de place au doute.

atlantico-senior-planet-296026.jpgForcé de quitter le Kremlin en 2008, faute de pouvoir enchaîner plus de deux mandats consécutifs, Vladimir Poutine paraît certain de retrouver son trône.

Pourtant, les législatives de décembre dernier, entachées de fraudes au profit du parti présidentiel, ont semblé enrayer la parfaite mécanique du système Poutine.

Fait sans précédent, des dizaines de milliers de Russes ont manifesté à Moscou, à Saint-Pétersbourg et dans de nombreuses autres villes, jusqu'à Vladivostok.

Dimanche, ils étaient encore des milliers à Moscou à constituer une chaîne humaine autour du centre-ville avec pour slogan "Ne laissons pas Poutine entrer au Kremlin".

À l'occasion de la sortie du livre Le roman du siècle rouge (éditions du Rocher), Vladimir Fédorovski, écrivain et ancien diplomate russe, et Alexandre Adler, historien spécialiste des relations internationales, offrent au Point.fr une conversation au sommet sur l'avenir de la Russie de Vladimir Poutine.

Le Point.fr : Poutine peut-il perdre dimanche ?

Alexandre Adler : Évidemment pas. L'élection ne se joue pas uniquement dans les grandes villes. Elle ne se joue pas qu'avec les jeunes. Il y a encore aujourd'hui une majorité de Russes qui voteront spontanément pour Poutine, en estimant que tout autre choix ne ferait qu'empirer leur situation. Malgré la privatisation, le secteur public représente encore en Russie près de 70 % des salaires distribués. Vous avez des industries entières qui ne sont pas rentables, et qui vivent grâce aux subventions, comme sous le soviétisme. Or, si les gens commencent à s'agiter, on leur supprime tout. Mais ceci ne signifie rien quant à la dynamique en cours dans la société russe. Ce que l'on a vu à Moscou avec des manifestations de contestation mobilisant jusqu'à 40 000 personnes, c'est la prise de parole entièrement nouvelle d'une jeunesse qui n'a pas de souvenir de l'Union soviétique, ni des inhibitions qu'elle pouvait créer.

Vladimir Fédorovski : Je suis d'accord avec toi, Alexandre, pour dire que c'est une nouvelle donne. C'est la classe la plus évoluée de la Russie qui manifeste. Souvent des jeunes, liés à la technique, au progrès et à Internet. Finalement, ils ont fait exploser le système Poutine. C'était un système de verrouillage économique, médiatique, et politique. Il n'y avait qu'une opposition de façade, il y en a maintenant une vraie. Poutine est en train d'être lâché par l'élite politique et économique qui a placé son argent en Occident. Poutine gagnera la présidentielle, mais je pense qu'il perdra la guerre.

Vous parlez de vraie opposition, celle-ci n'a pourtant pas le droit de se présenter dimanche.

A. A. : Il n'y a aucun intérêt à ce que quelqu'un comme Alexeï Navalny (activiste, figure montante de l'opposition, NDLR) se présente, étant donné qu'il représente l'extrême droite. Ce n'est pas parce qu'il est blogueur qu'il est voué à un grand avenir. En revanche, il y a beaucoup de gens dans ce pays qui peuvent incarner une force d'opposition. On les connaît d'ailleurs : Boris Nemtsov, qui fut membre du gouvernement et qui n'a pas pu enregistrer son parti, en raison d'obstacles administratifs.

V. F. : C'est de la manipulation politique ! Tu sais, Alexandre, il ne faut pas être trop rude vis-à-vis des leaders qui apparaissent spontanément. C'était déjà le cas d'Eltsine, et même de Poutine. Il y a des gens hautement qualifiés au sein même de l'opposition, qui ont la réputation d'être incorruptibles, à la différence des gens au pouvoir. Poutine les a traités de "singes" ? Maintenant, il veut dialoguer avec eux. Il avait aboli les élections des gouverneurs de province, aujourd'hui, il revient dessus.

A. A. : C'est bien la preuve que Poutine ne lie pas son sort à l'élection, et qu'il a déjà fait des concessions importantes. Il sent qu'il ne pourra plus gouverner ce pays s'il ne lâche pas du lest.

V. F. : Je suis d'accord avec toi. J'ajouterai qu'il y a, dans l'opposition, une dimension très importante liée à l'économie. C'est la classe moyenne qui est en train de naître en Russie. Ces manifestations en sont une émanation politique.

L'émergence de cette classe moyenne est-elle due à Poutine ?

A. A. : Pas seulement. C'est le résultat de l'immense effort d'industrialisation du pays durant les trente ans qui se sont écoulés depuis la mort de Leonid Brejnev (ancien secrétaire général du Parti communiste, NDLR). Le résultat est là. Les Russes ont un niveau d'éducation secondaire largement équivalent à celui des Français, avec des revenus bien entendu très inférieurs. Ils sont urbanisés en très grand nombre. Et beaucoup sont passés petit à petit du secteur secondaire à un secteur tertiaire qui, avec l'informatique et les nouvelles techniques de communication, s'est développé beaucoup plus rapidement que partout ailleurs.

V. F. : L'essor de ces classes moyennes préfigure, sur le plan géopolitique, un ancrage de la Russie, de sa culture et de sa civilisation, à l'Europe.

Justement, cette classe pourrait-elle pousser Poutine à un second tour dimanche ?

A. A. : Tout sera fait pour éviter un second tour. Il y aura bien sûr des fraudes, mais beaucoup moins patentes qu'en décembre dernier. Ce qui a beaucoup choqué les Russes, c'est la façon dont les autorités locales ne se sont même pas gênées pour remplir les urnes, au vu et au su des témoins. Les Russes ne sont pas des serfs forcés de se plier aux caprices de leurs dirigeants. Incontestablement, le régime politique tend de plus en plus à "singer" l'ancien régime, sans en avoir ni le courage, ni l'idéalisme, ni même les moyens d'intimider la population.

Comment expliquer l'impopularité de Poutine ?

A. A. : Poutine ne respecte aucun des codes, aucune des apparences auxquelles un chef d'État est assujetti. Un roque (coup d'échec, NDLR) a été exécuté entre les deux hommes. À l'élection à la présidence de Medvedev, une bonne partie du système présidentiel a été transféré au poste du Premier ministre. Et à l'inverse, le président est devenu une sorte de Premier ministre. L'attitude que Poutine a adoptée vis-à-vis de Medvedev consistait à montrer qu'il était le seul chef, et que Medvedev n'était rien. Or, ce dernier avait tout de même le titre de président de la Fédération de Russie. Ainsi, les Russes se sont sentis humiliés par ce mâle dominateur de Poutine, une image qui se révèle d'ailleurs être en grande partie de la frime.

V. F. : Tout est bidon. C'est du faux-semblant. Derrière la manipulation, il n'y a pas de vrai personnage. Il n'y a pas de politique industrielle, mais de terribles malversations. La corruption s'est aggravée. Sur le plan géopolitique, il s'est révélé peu efficace, et même contre-productif. Le cirque de Poutine est terminé.

Mais vous parlez tout de même dans le livre, Alexandre Adler, de certains succès, notamment en matière de politique agricole.

A. A. : La Russie était à l'époque dans un grand vide qu'il fallait combler avec du théâtre. Ceci, Poutine l'a bien fait au départ, en rassurant les gens grâce à la rente pétrolière et gazière. Mais si la Russie a de l'argent, pour couvrir un certain nombre de désarrois sociaux particulièrement graves, elle ne produit pas grand-chose, ce qui est une de ses grandes faiblesses. Pire, beaucoup d'argent de la rente est détourné. Sur ce point-là, la Russie ressemble à un certain nombre de pays pétroliers du Moyen-Orient. C'est le vice-ministre russe des Finances qui le dit. Par contre, là où je m'inscris en faux, c'est dans toute la dénonciation qui est faite de l'autoritarisme poutinien. On le représente comme ayant établi un régime semi-franquiste. C'est faux. La vie quotidienne des Russes est de moins en moins proche de celle qu'on a connue en URSS. Pour ma part, je pense que le pouvoir de Poutine est un pouvoir faible. On le voit dans les nominations, dans les décisions véritables, dans le poids de la Russie à l'étranger, et même dans la féodalisation incroyable, qui permet à un Kadirov, qui était un des chefs indépendantistes tchétchènes, de dicter ses conditions au pouvoir central. Cela touche les Russes, qui ont connu par le passé une Russie qui disposait d'un prestige et d'une autorité autrement plus grands.

V. F. : Un vrai faux dur en réalité !

Vous évoquez une certaine liberté. C'est tout de même la Russie de Poutine qui a tué Anna Politkovskaïa et emprisonné Mikhaïl Khodorkovski.

A. A. : Bien sûr. La liberté d'expression existe à condition qu'on ne touche pas à la structure intime du pouvoir. On a eu des meurtres de journalistes en assez grand nombre, des mises en exil d'un certain nombre de fortunes importantes, ce que Mikhaïl Khodorkovski a refusé. Il le paie aujourd'hui au prix fort. Mais la terreur ne règne pas en Russie. Les livres paraissent à peu près librement. On traduit à peu près tout ce que l'on veut de l'Occident. La foi religieuse s'exprime en pleine lumière.

V. F. : Même s'il y a quand même une domination de l'Église orthodoxe, très liée au pouvoir.

A. A. : Par ailleurs, les Russes voyagent à peu près comme ils le veulent. Ils sont nombreux à connaître l'Occident. La Russie possède un nombre d'internautes supérieur au taux français. Ce sont des traits qui, au fond, distinguent radicalement cette société de la précédente. Et c'est la raison pour laquelle le pouvoir, tel qu'il existe aujourd'hui, ne peut être qu'extrêmement fragile face à ces éléments de modernisation profonds et inexorables. En fait, nous assistons à une véritable révolution passive, subie par le gouvernement.

 

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   http://bit.ly/yjuujt

 

Alexandre Adler : Les Russes distinguent le Siècle d’or de la littérature et de la culture russes – avec Pouchkine, Lermontov, Gogol, et qui se termine avec Tolstoï – du Siècle d’argent, à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, qui commence avec Tchekhov. C’est aussi une période de formidable essor, bien que beaucoup plus amère. La grande épopée romantique du siècle précédent a fait place au scepticisme, tandis que la révolution est en train d’accumuler son énergie, mais ces années ont laissé, notamment en Europe avec Tchaïkovski et les ballets de Diaghilev, de très nombreuses traces.

Si des personnalités comme celles d’Eisenstein, de Maïakovski ou de Meyerhold, par exemple, avaient quelque chose du Siècle d’or, en plus sombre, l’époque brejnévienne, dont on pourra dire ensuite tout le mal qu’on voudra, correspond au Siècle d’argent. C’est en effet une époque où les gens ne croient plus à la politique ni d’ailleurs à grand-chose d’autre. Ils se cherchent, avec un goût de l’intériorité très prononcé, ne travaillent pas beaucoup car le système ne le permet pas, mais discutent intensément entre eux. Tout cela donne l’impression que la Russie s’est arrêtée en chemin pour réfléchir à propos de la voie à suivre, étant précisé que cette pause s’accompagne d’une dégradation constante mais douce-amère de la société et de l’économie.

L’intelligentsia, en revanche, est très active – plus active probablement qu’en France, il existe une grande différence qualitative entre Tarkovski et Godard – et c’est pourquoi elle va prendre le pouvoir avec Gorbatchev. C’est l’époque des grandes œuvres de Soljenitsyne qui dénoncent le goulag, et de Grossman qui, dans Vie et Destin, dresse un bilan épique de la guerre, du stalinisme, de ses aberrations et de l’amour que les Soviétiques ont tout de même pu concevoir pour ce régime, ouvrage écrit à la fin des années soixante avec l’ambition d’être le Guerre et Paix de la génération de la Seconde guerre mondiale. Confisqué par le KGB, le manuscrit réapparaîtra mystérieusement, au demeurant en bon état, dans les années quatre-vingt, alors qu’Andropov est au pouvoir.

Le cinéma d’Andreï Tarkovski, comme la musique de Boulat Okoudjava ou les poèmes de Vladimir Vissotski sont autant de témoignages un peu âpres de cette découverte d’un monde plus dur, celui de la vraie Russie qui réémerge ainsi des décombres d’une union soviétique malade.

 

Vladimir Fédorovski : À ce propos, je citerai mon ami le pianiste Mikhaïl Rudy, pourtant condamné par contumace à une dizaine d’années de goulag pour avoir été l’un des premiers artistes dissidents : « Mes amis français prétendent que sous Brejnev la culture n’existait pas, alors qu’elle était de loin plus intéressante et plus riche que celle de la France, aujourd’hui ! » C’est incontestable : les concerts, la littérature, les discussions, le cinéma ont marqué toute cette époque.

Valentin Kataïev, mon parrain en littérature, connu en France avec sa fameuse comédie Je veux voir Mioussov, raconte que lors d’une de ces réunions d’écrivains que Khrouchtchev avait coutume d’organiser pour boire et discuter avec eux de la façon dont les Russes allaient dépasser les américains et construire le paradis sur terre, il lui avait demandé : « Allez-vous nous envoyer au goulag ? » Pourquoi ? Parce que Khrouchtchev pratiquait un stalinisme mou, c’est-à-dire qu’il n’expédiait pas les gens au goulag aussi longtemps qu’ils ne bougeaient pas…

 

A.A. : L’union soviétique présente une caractéristique assez curieuse : elle met les écrivains en prison, alors même qu’ils jouissent de beaucoup plus de prestige que dans nos sociétés. Au pauvre Sartre qui avait bien essayé de se faire arrêter, de Gaulle avait écrit « Cher maître » pour lui signifier que cela n’était nullement dans ses intentions ! De fait, les écrivains étaient certes lus en France, mais n’avaient pas le prestige que leur accordait cette société sans Parlement ni contre-pouvoir, où le respect traditionnel pour la culture leur conférait une sorte de noblesse dans le régime. Autant les instances intermédiaires ne fonctionnaient pas, autant tous les dirigeants, au premier rang desquels Khrouchtchev, étaient sensibles à ce que pensaient et disaient les écrivains.

 

V.F. : Ossip Mandelstam, grand poète emblématique de cette époque, a très bien formulé tout cela. Sa femme se souvient qu’avant d’être envoyé au goulag, où il mourra, alors qu’elle se plaignait des mauvais traitements que l’union soviétique réservait à ses écrivains, il avait répondu : « Détrompe-toi, la poésie et la littérature sont ici ce que l’on aime le plus, puisque ce sont ces activités qui justifient que l’on fusille leurs auteurs ! » Cela en dit long sur l’importance accordée à la poésie.

 

Table des matières http://amzn.to/yeJxGa

DEUX DESTINS PARALLELES
LE PAROXYSME : LENINE, TROTSKI ET STALINE
LES TEMPS INCERTAINS, DE KHROUCHTCHEV A BREJNEV
L'ENIGME ANDROPOV
GORBATCHEV : LE DESIR DE MORT
L'HEURE DE VERITE
ELTSINE OU LE POSTCOMMUNISME RATE
POUTINE OU LE TRIOMPHE POSTHUME D'ANDROPOV

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