La Constitution de la Ve République encourage le législateur à créer des quotas pour favoriser le rétablissement
de l'égalité effective... entre les femmes et les hommes.
L'Assemblée nationale et le Sénat, réunis en congrès, ont inscrit dans l'article premier de notre loi fondamentale en 1999, puis en 2008 :
« La loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives »,
puis en 2007 : « ainsi qu'aux responsabilités professionnelles et sociales ».
Il s'agissait, en 1999, d'une majorité de gauche ;
en 2008, d'une majorité de droite.
Une proposition de loi émanant de l'UMP vient d'être adoptée par l'Assemblée nationale pour faire une place aux femmes dans les conseils d'administration des entreprises cotées.
Peut-on imaginer mesure politique et juridique plus forte ?
Peut-on oublier que, pour en arriver là, il a fallu des décennies de lutte des femmes ?
Que L 'Express a dû publier il y a près de quinze ans un Manifeste des dix réclamant « une pratique renouvelée du pouvoir et de la démocratie soutenue par une volonté et une
pression politiques sans faille.
L'objectif est d'arriver, par étapes, à la parité » ?
Suivaient six mesures, dont la dernière est sans équivoque :
« Et s'il faut modifier la Constitution pour introduire des discriminations positives, nous y sommes favorables. »
Qui étaient ces dangereuses pasionarias attaquant l'ordre républicain - dont on nous dit qu'il s'oppose radicalement aux quotas ?
Michèle Barzach, Frédérique Bredin, Edith Cresson, Monique Pelletier, Yvette Roudy, Catherine Tasca, Simone Veil...
En juin 2000, le Parlement instaura un quota de 50 % de femmes pour les élections politiques avec scrutin de liste (Parlement européen, conseils municipaux, conseils régionaux), à
l'unanimité des groupes politiques.
Le titre de ce texte est explicite : « Loi tendant à favoriser l'égal accès des femmes et des hommes... »
Oui, le corpus légal
français donne un fondement juridique à la volonté déterminée de construire les instruments qui permettent d'établir ou de rétablir de l'égalité.
A vrai dire, le législateur n'avait pas attendu pour intervenir dans un autre domaine :
c'est une loi de... 1987 qui instaure un quota de 6 % de travailleurs handicapés dans les entreprises de plus de 20 salariés.
A chaque tentative pour faire progresser notre société vers moins d'inégalités, les mêmes arguments sont utilisés
:
- Le premier consiste à affirmer sans rire que les quotas font baisser le niveau :
il n'y aura jamais assez de gens « capables » pour que l'ouverture visée puisse s'accompagner du maintien de ce fameux niveau. Ainsi, l'instauration de quotas de femmes aurait dû faire
baisser le niveau du Parlement européen comme celui de la gestion des villes et des régions en France...
C'est certainement pour une question de niveau qu'une bonne partie des internats des lycées préparant aux grandes écoles d'ingénieurs n'acceptent pas de jeunes filles.
- Le second argument est merveilleusement pervers : les quotas sont « humiliants » pour les personnes qu'ils concernent !
Si, si, il vaut mieux être discriminé, évincé, écarté, exclu de l'accès aux postes à responsabilité en politique, dans les entreprises, dans les
administrations publiques... et dans les grandes écoles qu'être aidé par l'intervention de l'Etat.
Laissons faire le mouvement naturel... il creuse l'inégalité dans le silence de ses victimes.
En réalité, le quota est la mesure qui doit intervenir en dernier recours, lorsque les acteurs de la discrimination concernée ont apporté la
preuve réitérée et massive de leur refus obstiné de rétablir l'égalité par d'autres moyens.
Le quota est un instrument, pas une fin.
Mon espoir est que son usage soit provisoire :
le temps, nécessairement long mais cependant limité, que les conditions structurelles dans lesquelles évolue un groupe social assure de façon effective une véritable égalité des chances.
Le retour à la non-intervention de l'Etat est conditionné par la démonstration que les objectifs recherchés sont atteints.
Le quota est aussi un instrument qui peut et doit être évité si la seule menace de son emploi fait bouger les lignes.
La Conférence des grandes écoles est pour la diversification sociale du recrutement des élèves, mais contre les quotas - parce qu'elle prétend appliquer avec succès et depuis longtemps
déjà d'autres méthodes ?
Chiche !
Que le gouvernement désigne un groupe de chercheurs qui examine l'évolution entre 2000 et 2015 de la sociologie des dix meilleures écoles d'ingénieurs et de commerce, des trois ENS et de
Sciences-Po, ces institutions qui assurent en France l'accès aux positions-clés dans les entreprises, les médias et l'administration.
La comparaison sera faite avec des filières universitaires comme le droit et la médecine, et les résultats rendus publics chaque année. Et l'on pourra enfin débattre, à partir d'une analyse fi
ne, précise, menée sur le temps long.
http://www.challenges.fr/magazine/international/0199.028686/?xtmc=descoings&xtcr=3