On ne peut comprendre les récents succès du Front national si on ne les inscrit pas dans un cadre européen.

 On voit alors qu’il n’y a nulle exception française.

 Dans tous les pays du Vieux continent, se produit un phénomène politique comparable que je désigne sous le terme de “populisme patrimonial”.

 

 

Le populisme patrimonial est un mouvement politique contemporain né d’une inquiétude des Européens de voir simultanément remis en cause leur patrimoine matériel, ou leur niveau de vie, et leur patrimoine culturel, ou leur mode de vie, par les effets de la globalisation économique et du vieillissement démographique.

 

Le patrimoine matériel recouvre les éléments qui déterminent le niveau de vie tels que le pouvoir d’achat, mais en incluant les prélèvements obligatoires, ou encore le coût et la qualité des grandes prestations publiques, tels que la santé, l’éducation, les transports ou la sécurité.

 

Le patrimoine culturel recouvre les éléments qui définissent le mode de vie : il s’agit d’un ensemble de valeurs dans lesquelles une société se reconnaît, telles que la liberté individuelle ou l’égalité entre les individus, et d’une pluralité d’éléments, réels et symboliques, qui concourent à produire un monde culturel jugé traditionnel ou familier, et parmi lesquels il faut aussi compter l’environnement architectural et les paysages naturels.

 

L’attachement des Européens à des droits sociaux et à des systèmes d’assurance et de redistribution généreux les rend dépendants de la croissance démographique. Or, de fait, celle-ci procède désormais presque exclusivement de l’immigration, laquelle modifie l’équilibre ethnoculturel des sociétés d’accueil. Il existe donc un point de contradiction entre les deux patrimoines dès lors que les Européens ne font plus assez d’enfants.

 

On le voit, les causes de la déstabilisation patrimoniale sont tantôt extérieures, la globalisation économique, tantôt intérieures, le déclin démographique. L’immigration n’est une cause extérieure qu’en apparence si l’on veut bien admettre que sa nécessité est déterminée par le déclin démographique de l’Europe, lequel est une cause interne, et l’attachement des Européens à des droits sociaux, par exemple l’âge du départ à la retraite.

 

La crainte d’une déstabilisation matérielle et culturelle donne naissance à une demande de protection et favorise la résurgence d’une pensée conservatrice débordant largement le clivage gauche droite.

 En raison de sa nature matérielle et immatérielle, ce conservatisme peut mobiliser les classes les plus modestes de la société jusqu’aux strates supérieures, selon que l’accent est mis sur la dimension matérielle ou sur la dimension culturelle de la crise.

 

En Europe, sur un plan politique, cette double inquiétude a été identifiée par les partis d’extrême droite, tandis que la crise des finances publiques affaiblit structurellement la capacité d’action des partis de gouvernement.

Saisissant cette opportunité, les partis d’extrême droite opèrent une reconversion vers cette nouvelle forme de populisme que je qualifie de « patrimonial ».

Tantôt nouveaux partis, tantôt anciens partis reconvertis, ils s’attachent à prendre en charge la double défense du patrimoine, matériel et culturel.

C’est, par exemple, le Parti du Progrès en Norvège, les Vrais Finlandais, les Démocrates de Suède, le Parti du Peuple Danois, le Parti pour la Liberté, aux Pays-Bas, le Vlaams Belang, en Belgique, le FPÖ autrichien, l’UDC suisse, la Ligue du Nord en Italie, le Laos en Grèce ou le BNP et le UKIP en Grande-Bretagne.

 

En France, le Front national a entamé et presque achevé ce processus de conversion au populisme patrimonial sous l’impulsion d’une nouvelle génération de cadres amenée par Marine Le Pen.

L’assise électorale du populisme patrimonial est potentiellement très large car la combinaison des deux types de crainte, à propos du niveau de vie et à propos du mode de vie, lui confère une base sociologique de type interclassiste.

 

Le populisme traditionnel qui, par définition, ne reconnaît pas la pluralité des groupes sociaux en dehors du partage sommaire opposant un peuple à des élites déclarées incompétentes et corrompues, se régénère et s’accomplit dans le modèle patrimonial qui rend possible la jonction entre les catégories populaires et les catégories intermédiaires de la société, voire une fraction des couches supérieures pour lesquelles le patrimoine identitaire peut fournir le motif principal ou suffisant de mobilisation.

C’est ce qui permet aux partis populistes de type patrimonial d’accéder à une base électorale capable de donner à leur mouvement les apparences avantageuses d’un peuple réuni.

 

Les classes moyennes sont la fraction la plus exposée au populisme patrimonial dès lors que ses membres éprouvent le sentiment d’une menace affectant simultanément les deux dimensions de leur patrimoine.

C’est l’une des raisons pour lesquelles le populisme patrimonial est en mesure de briser l’équilibre des sociétés européennes

(cf. mon livre Populismes : la pente fatale, Plon, 2011).

 

Dominique Reynié, directeur général de la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol)

 

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Ecoutez ici l’interview de Dominique Reynié sur le populisme( 6.3.2012 )http://www.populisme.eu/

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