pour une politique de civilisation de 1997 à 2008...
ancien Entretien avec Edgar Morin : " pour une politique de civilisation "( 1997 )....notion redevenue dans l'air du temps ,en ce début d'année.... | |
http://www.mcxapc.org/docs/reperes/edil38.pdf
http://www.lapenseedemidi.org/revues/revue7/articles/6_morin.pdf
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Dans son dernier ouvrage, Une politique de civilisation [1], Edgar Morin approfondit ses analyses sur l’état du monde, déjà développées dans Terre-Patrie, et propose une réforme de la politique et de la pensée, capables de nous faire dépasser la crise multiforme et planétaire que nous traversons. Label France : Depuis des années, on s’accorde à reconnaître que nos sociétés traversent une crise économique, sociale et politique. Pourquoi la jugez-vous fondamentale ? Edgar Morin : Tout ce qui a constitué le visage lumineux de la civilisation occidentale présente aujourd’hui un envers de plus en plus sombre. L’industrie, qui satisfait les besoins d’un large nombre de personnes, est à l’origine des pollutions et des dégradations qui menacent notre biosphère. La voiture apparaît, à cet égard, au carrefour des vertus et des vices de notre civilisation. La science elle-même, dont on pensait qu’elle répandait uniquement des bienfaits, a révélé un aspect inquiétant avec la menace atomique ou celle de manipulations génétiques. Ainsi, on peut dire que le mythe du progrès, qui est au fondement de notre civilisation, qui voulait que, nécessairement, demain serait meilleur qu’aujourd’hui, et qui était commun au monde de l’Ouest et au monde de l’Est, puisque le communisme promettait un avenir radieux, s’est effondré en tant que mythe. LF : Cette crise ne concerne-t-elle que les sociétés occidentales ? Cette situation est celle du monde dans la mesure où la civilisation occidentale s’est mondialisée ainsi que son idéal, qu’elle avait appelé le « développement ». Ce dernier a été conçu comme une sorte de machine, dont la locomotive serait technique et économique et qui conduirait par elle-même les wagons, c’est-à-dire le développement social et humain. Or, nous nous rendons compte que le développement, envisagé uniquement sous un angle économique, n’interdit pas, au contraire, un sous-développement humain et moral. D’abord dans nos sociétés riches et développées, et ensuite dans des sociétés traditionnelles. ![]()
Cette dégradation de la qualité par rapport à la quantité est la marque de notre crise de civilisation car nous vivons dans un monde dominé par une logique technique, économique et scientifique. Je crains que la voie de la compétition économique accélérée et amplifiée ne nous conduise qu’à un accroissement du chômage. La tragédie, c’est que nous n’avons pas de clé pour en sortir. LF : Est-ce qu’une situation limite comparable à la nôtre a déjà existé par le passé ? Ce développement technique, économique et scientifique, avec ses effets propres, est un phénomène unique dans l’histoire. Mais des situations limites se sont déjà produites. Lorsqu’un système donné se trouve saturé par des problèmes qu’il ne peut plus résoudre, il y a deux possibilités : Le cas de la régression est illustré par celui de l’Empire romain. Comme on le sait aujourd’hui, ce ne sont pas les barbares qui ont provoqué sa chute, mais le fait qu’il a été incapable de se transformer et de résoudre ses problèmes économiques. LF : Lors de ces mutations, on franchit un cap et on change d’échelle en réalité. Est-il dans la logique du devenir des sociétés humaines d’accéder à l’étape de la mondialisation, que vous appelez aussi « l’ère planétaire », et qui est surtout perçue comme un danger aujourd’hui ? ![]() La mondialisation a évidemment un aspect très destructeur, d’anonymisation, de ratissage des cultures, d’homogénéisation des identités. Mais, elle représente aussi une chance unique de faire communiquer et se comprendre les hommes des différentes cultures de la planète, et de favoriser les métissages.
Cette étape nouvelle ne pourra venir que si nous enracinons dans notre conscience le fait que nous sommes des citoyens de la Terre tout en étant Européens, Français, Africains, Américains..., qu’elle est notre patrie, ce qui ne nie pas les autres patries. LF : Ces problèmes planétaires, qui dépassent la compétence des Etats-nations, nécessiteraient des réponses politiques planétaires. Est-ce à dire qu’il faudrait instaurer un gouvernement mondial avec les risques totalitaires que cela comporte ? Pas du tout. Ce que je crois, c’est qu’il faut incontestablement espérer que se mette en place une confédération mondiale, qui serait elle-même une confédération de confédérations à l’échelle des continents, dont l’Europe pourrait être un modèle et un exemple. Il faudrait créer des instances mondiales pour réguler des problèmes vitaux comme l’écologie, le nucléaire, et le développement économique, qui, en raison de ses conséquences socio-culturelles, ne devrait pas échapper au contrôle politique. LF : Mais l’essentiel de la politique de civilisation devrait être mis en oeuvre au niveau de chaque pays. Quelles en sont les finalités et les grandes lignes ? S’il y a une crise de civilisation, c’est parce que les problèmes fondamentaux sont considérés en général par la politique comme des problèmes individuels et privés. Cette dernière ne perçoit pas leur interdépendance avec les problèmes collectifs et généraux. LF : On vous opposera alors le problème du financement de ces grands projets en temps de crise... Bien sûr, mais parce que l’on réfléchit à partir de budgets séparés. Il serait urgent de créer un système comptable qui chiffre les conséquences écologiques et sanitaires de nos maux de civilisation. LF : Des millions d’années après son apparition, l’homo sapiens vous paraît en être encore au stade de la préhistoire sur le plan de l’esprit et du comportement. En quoi notre mode de pensée et d’appréhension de la réalité est-il un handicap au dépassement de nos problèmes actuels ? Il n’y a de connaissance pertinente que si on est capable de contextualiser son information, de la globaliser et de la situer dans un ensemble.
![]() Elle est vitale à l’heure de l’ère planétaire, où il est devenu impossible, et artificiel, d’isoler au niveau national un problème important. Cette réforme de pensée, qui elle-même nécessite une réforme de l’éducation, n’est en marche nulle part alors qu’elle est partout nécessaire.
Au XVIIe siècle, Pascal avait déjà compris combien tout est lié, reconnaissant que « toute chose est aidée et aidante, causée et causante » - il avait même le sens de la rétroaction, ce qui était admirable à son époque -, « et tout étant lié par un lien insensible qui relie les parties les plus éloignées les unes des autres, je tiens pour impossible de connaître les parties si je ne connais le tout comme de connaître le tout si je ne connais les parties ». Mais, malheureusement, nous avons suivi le modèle de Descartes, son contemporain, qui prônait lui le découpage de la réalité et des problèmes. Or, un tout produit des qualités qui n’existent pas dans les parties séparées. LF : Vous proposez de dépasser l’antagonisme traditionnel entre le particulier et l’universel. Pourquoi n’est-il pas contradictoire de « vouloir sauvegarder la diversité des cultures et développer l’unité culturelle de l’humanité » ? Il est indispensable de pouvoir penser l’unité du multiple et la multiplicité de l’un. Ainsi, on comprend que le général et le particulier ne sont pas ennemis puisque le général lui-même est singulier. LF : Pour régénérer la démocratie, vous prônez de se ressourcer aux valeurs de la trinité républicaine « liberté, égalité, fraternité ». En quel sens doit-on repenser leurs rapports ? Ce qui est intéressant, c’est que cette formule est complexe, les trois termes sont à la fois complémentaires et antagonistes. LF : Au niveau européen, vous êtes favorable à un modèle de fédération des Etats. Quel pourrait être le rôle de la France ? La France pourrait jouer un rôle pionnier parce que sa culture possède un héritage d’universalisme, de foi civique, républicaine et patriotique, mais aussi parce que la France est le seul pays européen qui, depuis le XIXe siècle, est un pays d’immigration, alors que tous les autres sont des pays d’émigration. LF : Votre diagnostic conclut à une situation « logiquement désespérée ». Qu’est-ce qui, pourtant, vous porte à l’espoir ? Je pense que nous devons nous ouvrir aux échanges. Les raisons de l’espoir viennent aussi du fait que nous sommes dans la préhistoire de l’esprit humain, ce qui signifie que les capacités mentales humaines sont encore sous-exploitées, notamment sur le plan des relations avec autrui. D’autre part, l’histoire nous enseigne qu’il faut miser sur l’improbable. Repères : Edgar Morin est l’un des penseurs français les plus importants de son époque, directeur de recherches émérite au Centre national de la recherche scientifique (CNRS).
La Complexité humaine (Flammarion, 1994) rassemble des concepts clés de l’oeuvre d’Edgar Morin (extraits de ses principaux ouvrages) et permet une première approche de la « pensée complexe ». [1] Dans lequel il expose ses analyses aux côtés de celles du politologue et philosophe Sami Naïr.
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La "politique de civilisation", un concept emprunté à un essai du sociologue Edgar MorinRaillée par la gauche, la « politique de civilisation » de Nicolas Sarkozy est le titre d'un ouvrage publié en 1997 par le sociologue Edgar Morin et le politologue Sami Naïr La gauche n’a pas hésité à dénoncer un « concept nouveau » qui « ne veut absolument rien dire ». Nicolas Sarkozy n’a pourtant pas inventé l’expression « politique de civilisation ». Il n’a fait que l’emprunter à Edgar Morin. « Il faut restaurer maintenant une politique de portée historique, un grand New Deal, que j’appelle, moi, une politique de civilisation », écrivait Edgar Morin dès décembre 1995, dans le contexte du mouvement social contre la réforme Juppé. Pour le sociologue, tout l’enjeu consistait alors à concilier le « double impératif d’intégration européenne et de maintien de la spécificité française », à réformer le « service public à la française » sans qu’il soit « dilué dans un libéralisme économique européen généralisé ». Ce n’est pas un hasard si ce thème trouvait alors écho chez les promoteurs d’une « autre politique » contre la « pensée unique » sous entendu « néolibérale et monétariste » (politique du franc fort). En 1997, Edgar Morin publiait ainsi un livre avec le politologue chevènementiste Sami Naïr, justement titré Une politique de civilisation (Éditions Arléa). « Ce qu’il nous faut, c’est une politique de civilisation et pas seulement une politique économique ou sociale », reprenait en écho en 2002 l’économiste Henri Guaino, interrogé par le club séguiniste Appel d’R, rallié à la candidature de Jean-Pierre Chevènement. ![]() Reste à savoir ce que pense Edgar Morin... ![]() Durant la précampagne électorale de 2007, il n’était ainsi pas question pour Nicolas Sarkozy de maintenir la « spécificité française », mais, au contraire, de « rompre avec un modèle social français dépassé ». Mais c’était avant qu’Henri Guaino ne devienne la plume du candidat puis le conseiller du nouveau président de la République… Reste à savoir ce que pense Edgar Morin de cette appropriation par Nicolas Sarkozy du concept de « politique de civilisation ». En mai-juin 2007, le réseau « Intelligence de la complexité » a publié, sous le titre Pour une politique de la civilisation, les choix d’Edgar Morin s’il était à l’Élysée. Pas sûr, pour le moins, que le président de la République soit prêt à reprendre toutes les idées développées par le sociologue, plus keynésiennes que libérales. « Je constituerai deux comités permanents visant à réduire les ruptures sociales », écrivait notamment Edgar Morin avant de proposer une « politique des grands travaux » en France et une ambition écologique planétaire. Concluant : « Cette voie nous pouvons nous y avancer en France, et par là espérer la faire adopter en Europe, et faisant de nouveau de la France un exemple, elle nous permettra d’indiquer la voie du salut planétaire. » Une conclusion reprise en substance et sans complexe, lundi soir, par Nicolas Sarkozy : « Alors, que la France montre la voie ! C’est ce que depuis toujours tous les peuples du monde attendent d’elle. » |