C’était attendu, la BCE a augmenté de 500 milliards d’euros, à 1 850 milliards, son programme d’achats d’urgence pandémie, le PEPP, qui lui permet d’injecter de l’argent dans le système financier. Sa durée est en outre prolongée de neuf mois, jusqu’en mars 2022. Elle a aussi prolongé d’un an, jusqu’en juin 2022, les conditions très favorables de ses opérations de refinancement (TLTRO) destinées à alimenter les banques en liquidités.
Sur fond d’inflation négative, la deuxième vague de la pandémie va faire retomber la zone euro en croissance négative au quatrième trimestre, a confirmé Christine Lagarde jeudi. La BCE a donc rouvert les vannes monétaires. Sa tâche reste lourde, et de longue haleine.
1 : Ranimer la croissance
Ce n’est pas le mandat premier de la Banque centrale, qui est de maintenir la stabilité des prix. Mais les crises – notamment l’actuelle – en ont décidé autrement. « Nous reconnaissons tous l’importance de force motrice de la pandémie [...], ainsi que l’impact que les mesures de restriction vont avoir sur l’économie, avait insisté sa présidente Christine Lagarde en octobre. C’est sur ce constat que nous nous sommes entendu sur la nécessité de recalibrer nos instruments lors de la prochaine réunion de notre Conseil des gouverneurs ».
Le quatrième trimestre devrait effectivement se solder par un recul de l’activité de 2,2 %. L’an prochain, la reprise n’atteindra pas les 5 % espérés cet automne, mais 3,9 % seulement. Si tout se passe bien du côté des campagnes de vaccination. « La banque centrale acceptera d’en faire davantage tant que l’activité économique n’aura pas retrouvé un profil satisfaisant », analyse Philippe Waechter, chef économiste chez Ostrum AM. De fait, « la BCE poursuivra ses achats nets [de dettes] jusqu’à ce qu’elle juge que la crise du coronavirus est terminée », a-t-elle confirmé jeudi. Personne ne sait où s’arrêtera sa prodigalité. Elle non plus, le Conseil des gouverneurs restant prêt « à ajuster l’ensemble de ses instruments » en tant que de besoin. Y compris en baissant à nouveau ses taux d’intérêt.
2 : Financer le « quoi qu’il en coûte »
« L’action des banques centrales est aujourd’hui conditionnée par ce qui est décidé au niveau des gouvernements », résume l’expert d’Ostrum AM. L’indispensable relance budgétaire passe par une envolée de l’endettement public ? La BCE revoit en hausse son programme de rachat d’actifs. C’est son seul réel moyen d’agir, ses taux directeurs étant déjà nuls ou négatifs depuis un moment.
Cette année, la banque de Francfort aura acquis sur le marché environ 70 % des émissions brutes de dettes publiques de la zone euro. Jeudi, elle a annoncé une rallonge de 500 milliards d’euros à son plan d’urgence pandémie (PEPP), porté à 1 850 milliards, si bien que « la proportion de ses achats sera quasi identique l’an prochain, commente Wilfrid Galand, stratégiste chez Montpensier Finance. La BCE n’a pas le choix, elle a l’ardente obligation de tout faire pour maintenir les taux d’intérêt bas. »
Voire. La France a emprunté cette année 260 milliards d’euros à moyen et long terme à -0,14 % (après +0,11 % en 2019 !). Le taux d’endettement du pays a bondi de 100 % à 120 % du PIB, mais cela n’affole personne, et pour cause : une partie des emprunts 2021 seront acquis par les équipes de Christine Lagarde.
3 : Contenir l’euro
Le taux de change n’est pas la cible directe de la politique monétaire. Mais il influe sur elle, car la hausse de l’euro entraîne mécaniquement une baisse de l’inflation importée. Elle pèse aussi sur les exportations, qui contribuent positivement à la croissance de la région. Autant dire que personne ne veut d’une monnaie forte quand la crise sévit.
Dommage, depuis le début de l’année, le billet vert (- 8 %) tout comme la livre sterling (- 7 %) ont chuté face à la monnaie unique. « Les injections de liquidités de la BCE n’ont fait que compenser la vitesse de l’affaiblissement du dollar, passé de 1,14 à 1,21 pour un euro depuis janvier », poursuit Wilfrid Galand. Moyennant quoi l’indicateur des conditions monétaires, qui contribue à l’environnement des affaires, est extrêmement accommodant aux Etats-Unis. Mais pas en Europe.
Les inconnues concernant l’état du Royaume-Uni post-Brexit risquent d’affaiblir durablement la livre sterling. Quant au duo américain Janet Yellen (ex de la Fed, aujourd’hui au Trésor) et Jerome Powell (Fed), il préfigure une symbiose de détente monétaro-budgétaire, qui pourrait rejaillir sur le dollar, pour relancer la machine économique aux Etats-Unis. Face à tant d’adversité, la BCE fait tout ce qu’elle peut pour éviter que l’euro soit le dindon de la pandémie. Il faut « maintenir des conditions de financement favorables », a martelé jeudi Christine Lagarde. Qui promet de surveiller attentivement l’évolution du taux de change…
4 : Ranimer l’inflation
Le mandat de stabilité des prix semble toujours aussi difficile à atteindre. Les prix à la consommation ont reculé de 0,3 % en novembre, quatrième mois consécutif de baisse. Les anticipations d’inflation ne sont pas fringantes non plus (1,2 % dans cinq ans) au regard de l’objectif officiel de la BCE (proche de 2 %).
L’inflation reste « désespérément faible » a admis sa présidente jeudi, citant toute une série de facteurs, absence de pression sur les salaires, inquiétudes sur l’emploi, faiblesse de la demande, hausse de l’euro… La Banque centrale semble plutôt démunie pour agir. Le meilleur moyen est de bien doser le programme de rachat d’actifs, afin de maintenir des conditions de financement favorables, ce qui ranimera la confiance et permettra… de compenser les effets négatifs de la pandémie, espère Christine Lagarde. La route est encore longue.
Les nouvelles prévisions de la BCE :
PIB. 2020 : - 7,3% ; 2021 : +3,9%; 2022: +4,2%; 2023 : +2,1%
Inflation. 2020 : +0,2%; 2021: +1%; 2022: +1,1%; 2023: + 1.4 %