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Knock on Wood

l'Archipel français et les Gilets Jaunes en 2019

15 Décembre 2019 , Rédigé par Ipsus Publié dans #Réformes - Relance et Elections

Jérôme Fourquet, directeur du département Opinion publique à l'Ifop est l'auteur du très remarqué « L'Archipel français » (Seuil), lauréat 2019 du prix du livre politique dans lequel il met en lumière une société française morcelée.

Si ces fractures, à l'œuvre depuis trente ans, ont porté Macron au pouvoir, elles n'en constituent pas moins un danger pour le pouvoir.

l'Archipel français et les Gilets Jaunes en 2019
l'Archipel français et les Gilets Jaunes en 2019
l'Archipel français et les Gilets Jaunes en 2019
l'Archipel français et les Gilets Jaunes en 2019
l'Archipel français et les Gilets Jaunes en 2019

En quelques décennies, tout a changé. La France, à l’heure des gilets jaunes, n’a plus rien à voir avec cette nation une et indivisible structurée par un référentiel culturel commun. Et lorsque l’analyste s’essaie à rendre compte de la dynamique de cette métamorphose, c’est un archipel d’îless’ignorant les unes les autres qui se dessine sous les yeux fascinés du lecteur.

C’est que le socle de la France d’autrefois, sa matrice catho-républicaine, s’est complètement disloqué. Jérôme Fourquet envisage d’abord les conséquences anthropologiques et culturelles de cette érosion, et il remarque notamment combien notre relation au corps a changé (le développement de pratiques comme le tatouage et l’incinération en témoigne) ainsi que notre rapport à l’animalité (le veganisme en donne la mesure). Mais, plus spectaculaire encore, l’effacement progressif de l’ancienne France sous la pression de la France nouvelle induit un effet d’« archipelisation » de la société tout entière : sécession des élites, autonomisation des catégories populaires, formation d’un réduit catholique, instauration d’une société multiculturelle de fait, dislocation des références culturelles communes (comme l’illustre, par exemple, la spectaculaire diversification des prénoms).

À la lumière de ce bouleversement sans précédent, on comprend mieux la crise que traverse notre système politique : dans ce contexte de fragmentation, l’agrégation des intérêts particuliers au sein de coalitions larges est tout simplement devenue impossible. En témoignent, bien sûr, l’élection présidentielle de 2017 et les suites que l’on sait…

Avec de nombreuses cartes, tableaux et graphiques originaux réalisés par Sylvain Manternach, géographe et cartographe.

Extraitshttps://t.co/3AtemfpMLC

Premier enseignement : la déchristianisation de la société. De nombreux éléments, allant de la disparition du prénom Marie à la baisse du nombre de prêtres en passant par la diminution du nombre de baptêmes, prouvent que la France est entrée dans une « ère post-chrétienne », comme le décrit le politologue. 

 « Nous avons mobilisé cette gigantesque base (...) afin de mettre en évidence différents phénomènes comme la montée en puissance d'un individualisme de masse, l'affranchissement idéologique et culturel des catégories populaires et le regain identitaire », écrit le politologue. La forte hausse de la part des nouveau-nés en 2016 en France portant un prénom arabo-musulman (18 %) risque d'être la plus commentée. Ce chiffre n'est pas isolé. Des hausses similaires sont à noter à propos des prénoms hébraïques et régionaux.

"On peut parler d'une vaste île populaire qui peut s'illustrer dans un certain nombre de territoires par un vote massif pour le front national et qui a rejailli plus récemment avec le mouvement des "Gilets jaunes". Il y aussi toute une analyse sur une sécession des élites avec un regroupement dans le grand centre urbain, la métropole parisienne par exemple mais aussi un certain nombre de villes de province. On peut également évoquer un certain nombre de tropismes régionalismes et on pense là à la Corse, où un vote nationaliste est aujourd'hui majoritaire sur l'île de beauté. On a d'autres formes de fragmentations, avec ce phénomène que l'on connaît maintenant depuis une quarantaine d'années qui est celui d'une immigration relativement soutenue et qui a abouti au fait que nous sommes dans une société qui de facto est hétérogène sur le plan socio-culturel."

 

J.Fourquet explique l'origine de cette dislocation par la déchristianisation, le catholicisme ayant été un socle fort pour structurer la société française. : "Il nous est apparu que la matrice catholique a été totalement structurante sur une très longue durée, à la fois pour les catholiques mais aussi la société française qui s'est structurée sur un duo pôle 'société laïque et républicaine' vs 'catholique'".

Le phénomène de sécularisation et de déchristianisation n'est pas récent en France, rappelle-t-il, "mais on peut penser qu'on assiste aujourd'hui au stade terminal" : "Au début des années 60, on avait 35% des Français qui déclaraient aller à la messe tous les dimanches, voire davantage. Aujourd'hui, ils sont à peine 5 ou 6 %. On peut penser aussi que d'ici 25 ans, il n'y aura plus de prêtes en France."

la video qui suit dure 3.37 mn 

Jérôme Fourquet a comparé la vague migratoire actuelle avec d'autres vagues de l'Histoire de France. Prenant l'exemple de familles polonaises, il note une différence de pratiques : "Les familles polonaises, pendant une génération, ont donné des prénoms polonais à leurs enfants, puis ce phénomène s'est éteint et ces familles se sont fondues dans le catalogue "commun" des prénoms."

Pour les prénoms arabo-musulmans, le mécanisme est différent, selon les conclusions de son ouvrage : "On peut faire l'hypothèse, au regard des prénoms qui sont donnés, on a un processus moins rapide et beaucoup plus difficile que pour beaucoup d'autres vagues migratoires. Et en même temps on constate que toute une partie de cette immigration a pris l'ascenseur social et est aujourd'hui totalement intégrée."

Jérôme Fourquet : Le constat de la sécularisation et du déclin de la pratique religieuse a été posé depuis longtemps. Nous assistons désormais à l’achèvement de ce long processus. La matrice, qui a profondément structuré la société française, connaît sa dislocation finale. Cela marque la fin du duopole, dont la tension organisait la société, constituée du catholicisme d’un côté et de la matrice républicano-laïque de l’autre. Nous assistons à l’émergence d’un nouveau monde. Cette rupture historique, en seulement une à deux générations, est vertigineuse car nous devons désormais penser l’avenir en dehors de ce schéma structurant.

J. F. : Nous sommes à la veille d’un basculement de grande ampleur du fait du renouvellement générationnel. Les plus âgés, encore marqués par l’empreinte du catholicisme, sont progressivement remplacés par des plus jeunes qui ont grandi dans une société déjà très fortement déchristianisée. Le catholicisme en France passe du stade de culture dominante à une parmi d’autres, voire à une contre-culture. Il existe aussi des effets de balanciers sur ceux qui demeurent catholiques et qui ont pris conscience assez tardivement de leur statut de minoritaire d’où un regain de militantisme.

L’avenir du catholicisme français ne passe-t-il pas aussi par l’arrivée de nouvelles populations ?

Y. R. d. C. : Dans un certain nombre de paroisses, nous constatons un afflux de catholiques venant essentiellement d’Afrique et notamment des jeunes. Cette population est doublement invisible car, en France, les immigrés sont associés à l’islam et les catholiques, eux, sont résumés aux Français de longue date. Même s’il existe un fossé de classe très important, ces catholiques immigrés ne sont pas en opposition avec les observants car ils s’inscrivent dans un certain continuum conservateur et partagent une méfiance commune envers l’islam.

J. F. : Sur le salut de l’Église, par le Sud, nous avons une illustration plus évidente avec les évangéliques, dont le nombre est renforcé par l’afflux de population des DOM-TOM ou d’Afrique subsaharienne et qui modifie considérablement les équilibres au sein du protestantisme. Nous ne sommes pas à un stade aussi avancé pour les catholiques. Dans le livre, j’évoque surtout la question des prêtres, dont une bonne partie aujourd’hui vient du Sud, alors que jusqu’au début du XXe siècle, la France fournissait près des trois quarts des missionnaires dans le monde. Nous assistons à un retournement historique.

J. F. : Sur des sujets aussi différents que la PMA ou le véganisme, on observe des mouvements de l’opinion qui sont révélateurs du déclin de la matrice catholique. Par exemple, la remise en question de la hiérarchie homme-animal aurait paru totalement incongrue il y a 50 ans. Sur le plan des mœurs, on a eu avec l’IVG la sexualité sans la procréation. Avec la PMA, on est en train d’inventer la procréation sans la sexualité… Il est vrai toutefois que toute une partie de la population accompagne ces évolutions sans en être vraiment acteur, ou convaincue. Elle les subit un peu. Est-ce que le catholicisme a la capacité de se réarmer intellectuellement sur ces enjeux-là pour proposer une alternative et entraîner un partie de la population ? Je n’ai pas la réponse.

Y. R. d. C. : On est dans un certain paradoxe : d’un côté, une banalisation de toutes ces évolutions qui seraient automatiquement avalisées par l’opinion publique. D’un autre, les enquêtes montrent un moment d’épuisement de l’idée de progrès. Nombre des Français pensent que la vie de leurs enfants sera plus difficile. Le catholicisme peut bénéficier de la montée en puissance du conservatisme. Une notion comme « l’écologie humaine » vient redonner du souffle au discours pro-vie, des positions catholiques anti-GPA trouvent des alliés nouveaux au sein de la gauche… On assiste donc à des recompositions encore assez marginales mais, dans le domaine des idées, c’est souvent le travail intellectuel de minoritaires qui est signifiant.

Y. R. d. C. : La spiritualité s’étant effondrée, tous les symboles que sont les églises, les crèches de Noël sont disponibles comme des références identitaires et une partie de la droite, en France et aussi ailleurs en Europe, exploite ce catholicisme patrimonial. Ce recours aux racines chrétiennes pour réaffirmer la norme culturelle majoritaire s’articule très bien au populisme. Alors que le catholicisme continue de décliner, il redevient en ce sens un enjeu politique.

Y. R. d. C. : Pour Alexis de Tocqueville, c’est le protestantisme qui a permis à la société américaine de résister aux tendances individualistes libérées par la démocratie. On entend de même aujourd’hui des intellectuels défendre le catholicisme car il offre un ressort de civisme et de dévouement patriotique que la République ne sait plus vraiment produire. Le colonel Arnaud Beltrame était devenu l’icône de cette forme de catho-laïcité. Emmanuel Macron avait eu des mots très forts en évoquant « la force d’âme » comme « un rempart de la République ».

« Les scandales qui se succèdent (pédophilie, homosexualité du clergé, viol des religieuses) ont un impact considérable parce qu’ils viennent saper les quatre ressorts sur lesquels Jean-Paul II a tenté de repositionner l’Église : la morale sexuelle, la centralisation du pouvoir à Rome, les communautés nouvelles, la jeunesse. Du coup c’est l’institutionnalité même du catholicisme qui se trouve ébranlée et la stratégie de la « nouvelle évangélisation » discréditée. Mgr Georges Pontier a eu beau dire que l’ensemble des catholiques partageaient la responsabilité du silence, de fait non car le pouvoir reste monopolisé par des clercs.

Si les catholiques sont si dociles, c’est parce qu’ils sont éduqués à s’en remettre aux prêtres. Il n’y a pas de coresponsabilité ni de culture du débat dans les diocèses. Par conséquent la culture de l’irresponsabilité s’étend aux évêques qui tout en prenant des décisions discrétionnaires refusent d’en être responsables devant leurs ouailles et revendiquent ne rendre des comptes qu’à Rome… On l’a vu avec l’affaire Barbarin. Les abus sexuels dévoilent la face sombre de ce corporatisme clérical. Quelle que soit leur sensibilité, les catholiques sont tous touchés mais, peu responsabilisés jusqu’à présent, ils se trouvent à la fois révoltés et désarmés. Les prêtres de base sont découragés, déjà surmenés et sans successeurs, beaucoup se trouvent injustement délégitimés. »

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