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Knock on Wood

Comment forger une Mémoire collective ? Criminology of Genocide : Punishment and Culture

27 Mars 2019 , Rédigé par Ipsus Publié dans #Dans L'AIR DU TEMPS, #GEOPOLITIQUE, #JURIDIQUE , Fiscal & Partenariats

Le thème de la mémoire collective, qui touche de manière essentielle la question du principe de cohésion sociale, assume un rôle singulier dans le contexte hétérogène de nos sociétés contemporaines.

La fonction publique de la mémoire collective, sous forme de commémorations ou de musées, tout comme l’évocation de souvenirs traumatisants pour toute une collectivité, suscite un vif débat dans un grand nombre de champs d’analyse, allant des sciences cognitives à la politologie, la sociologie, l’histoire et les autres disciplines des sciences sociales.

C’est le grand mérite de l’ouvrage de Paul Ricœur, La mémoire, l’histoire, l’oubli, d’avoir embrassé dans sa réflexion de très nombreux arguments venant de différents champs d’analyse ; pourtant, ce qui retiendra notre intérêt dans le propos qui suit, c’est moins la diversité des perspectives qu’il examine que la motivation profonde qui nourrit sa conception de la mémoire relevant d’une réflexion morale qui traverse l’ouvrage tout entier. 

https://www.cairn.info/revue-de-metaphysique-et-de-morale-2006-2-page-185.htm#

Tribunal de Nuremberg

Roosevelt et Jackson ont ainsi utilisé un procès criminel pour forger une mémoire collective. Cette position s’inscrit dans une conception durkheimienne des procès comme de puissants rituels, capables d’inculquer au public des normes morales et juridiques ainsi qu’une distinction entre le bien et le mal.

Elle se révèle également dans la lignée d’un nouveau corpus d’érudition néo-durkheimienne, qui conçoit la punition pénale comme un « acte de parole dans lequel la société se parle à elle-même de son identité morale » suivant les termes du sociologue américain Philip Smith.

Forger une mémoire collective

Dans le même ordre d’idées, le sociologue Jeffrey Alexander considère le Tribunal de Nuremberg comme le créateur d’images, de symboles, de totems et d’histoires qui ont inculqué à un public mondial le sens des crimes nazis comme traumatisme culturel.

Le droit pénal devient ainsi un instrument de lutte pour la mémoire collective – entendue comme des notions d’événements passés qui sont partagées, mutuellement reconnues et renforcées par une collectivité – des crimes de masse. Du fait de leur pouvoir de représentation, les tribunaux sont un outil pour faire comprendre à une société – même réticente – que la violence de masse est une forme de violence criminelle.

Des institutions dédiées aux droits de l’homme

Déclaration universelle des droits de l’homme, Convention pour la répression et la prévention du crime de génocide, tribunaux ad hoc des années 1990 (ex-Yougoslavie, Rwanda, etc.), conférence diplomatique de Rome en 1998 à l’origine de la première Cour pénale internationale (CPI) permanente : les normes et institutions relatives aux droits humains se sont largement diffusées.

Une histoire limitée des crimes de masses

Une mise en garde s’impose toutefois, car les procès narrent toujours une histoire limitée sur les crimes de masse et les violations des droits humains.

En raison de la logique institutionnelle spécifique du droit pénal, ils se concentrent sur le comportement de quelques individus, sans tenir compte des conditions structurelles et culturelles de la violence de masse.

Liés par des classifications juridiques, ils font en outre abstraction des spectateurs et des prédicateurs de la haine, quel que soit leur rôle dans le déploiement de la violence.

De plus, en se concentrant sur une période de temps limitée, ils dé-historisent et leurs règles de preuve diffèrent de celles des sciences sociales. La logique binaire de culpabilité et de non-culpabilité du droit pénal ne laisse pas de place aux nuances de gris que les psychologues sociaux pourraient reconnaître.

Les procès pénaux peuvent être de puissants producteurs de souvenirs collectifs des violations graves des droits humains et délégitimer la violence de masse en fournissant une base de connaissance. Néanmoins, étant donné les contraintes de représentation des procès, ils devraient être complétés par d’autres mécanismes institutionnels tels que les commissions vérité.

Comment forger une Mémoire collective ? Criminology of Genocide :  Punishment and Culture
Comment forger une Mémoire collective ? Criminology of Genocide :  Punishment and Culture

Des ruptures dans la transmission:

 Comme la mémoire individuelle, la mémoire collective n’est ni infaillible ni exhaustive… Elle est en réalité le fruit d’une tout autre logique. 

« La mémoire collective, c’est l’ensemble des représentations sociales du passé dans une société donnée, énonce Denis Peschanski, historien spécialiste de la Seconde Guerre mondiale et directeur de recherche au CNRS1

Au filtre de cette mémoire ne sont retenus que les événements perçus comme structurants dans la construction de notre identité collective. » 

Ainsi, des événements vécus par un nombre important de personnes n’en feront pas partie, et d’autres qui concernent une minorité mais sont porteurs d’un sens fort y seront intégrés. « La mémoire collective n’est pas la somme algébrique des mémoires individuelles », insiste l’historien.

Une mémoire qui se transforme au fil du temps

S’il est une certitude, c’est bien celle-ci : la mémoire de nos sociétés n’est pas figée une fois pour toutes. Elle est plastique et ne cesse de se transformer au fil du temps et de l’actualité. Ainsi, des événements qui perdent de leur signification tendent à s’effacer de notre « disque dur », quand d’autres, qui étaient devenus des « mémoires faibles », selon l’expression de Denis Peschanski, sont brusquement réanimés.

 « Jusque dans les années 1980, il était convenu de dire que la Seconde Guerre mondiale était le creuset de nos sociétés contemporaines, rappelle l’historien.

 L’explosion du bloc soviétique en 1989 a remis la Première Guerre mondiale au centre de notre mémoire d’Européens comme élément clé de notre identité. Et pour cause : c’est en 1918, à la suite de la désintégration de l’Autriche-Hongrie, que toutes les frontières à l’Est ont été redessinées. » 

Autre exemple de cette plasticité, les événements de la Commune de Paris, pivots de la mémoire de l’extrême-gauche française, tendent aujourd’hui à s’estomper avec la perte d’influence du Parti communiste français.

«Dans le même ordre d’idée, il est intéressant de voir comment les récits des résistants de la Seconde Guerre mondiale ont évolué avec le temps. Alors qu’ils ne faisaient jamais mention des Juifs, ces derniers sont apparus dans les témoignages à partir des années1990, quand la Shoah est devenue une “mémoire forte” de ce conflit»,raconte Denis Peschanski, qui rappelle que la mémoire collective est loin d’avoir livré tous ses secrets.

Collective Memory, Penal Law and Human Rights https://t.co/tUyiIL1A1a

In American Memories: Atrocities and the Law, King and I show how court-produced narratives of mass violence affect public representations more than potential competitors do. An example is the trial against U.S. soldiers for a massacre committed in the village of My Lai during the Vietnam War. Competing with a narrative produced by a military commission under General Peers (Peers Commission) (Goldstein et al. 1976), and with a powerful, Pulitzer prize-winning journalistic account by Seymour Hersh (1970), entitled My Lai 4, the trial narrative most successfully colored media reports and textbook depictions of subsequent decades. In a more recent book on representations of mass violence in the Darfur region of Sudan (Representing Mass Violence), I show that the human rights and ICC accounts of the violence affected more strongly thousands of media reports in eight countries than quite different narratives from the humanitarian aid and diplomacy fields.

Comment forger une Mémoire collective ? Criminology of Genocide :  Punishment and Culture

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