SYRIE , emails et petits arrangements entre amis et quelques autres
@leJDD révèle les mails secrets de l’affaire Lafarge : l'histoire commence en 2007 et bien qu'il n'y ait pas d'Iceberg en Syrie , la suite va nous en montrer l'autre partie,moins visible
Pour quelques sacs de ciment et de noeuds .....
En apparence, tout est simple. Le groupe cimentier Lafarge, géant du CAC 40 à la réputation mondiale, aurait coopéré en Syrie avec l’organisation État islamique (EI) pour préserver ses intérêts industriels et son chiffre d’affaires. Telle est, en tout cas, la conclusion provisoire de l’enquête judiciaire ouverte en France depuis 2016. Soupçonnée d’avoir versé, entre 2012 et 2014, plusieurs millions de dollars à des groupes armés liés à Daech, la société a été mise en examen au mois de juin pour « financement d’une entreprise terroriste » et « complicité de crime contre l’humanité ». Huit de ses cadres sont poursuivis à titre personnel, tous ont été écartés, et la maison mère franco-suisse, LafargeHolcim, a déploré publiquement « ce qui s’est passé dans [sa]filiale syrienne ».
Les pièces du dossier et les témoignages des rares initiés qui acceptent d’en parler dessinent une réalité autrement floue. Et les documents inédits auxquels le JDD a eu accès permettent de reconstituer une autre histoire, qui n’exonère pas les dirigeants de Lafarge mais qui implique également le contre-espionnage français et le Quai d’Orsay, alors que ceux-ci se sont efforcés de faire prévaloir devant la justice le scénario d’un dérapage non contrôlé, sans doute plus commode pour éluder des opérations camouflées dans une région hautement sensible.
Devant les enquêteurs, le directeur de la sûreté de Lafarge, Jean-Claude Veillard, a assuré que la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) n’ignorait rien des arrangements conclus sur place pour maintenir l’activité de l’usine syrienne – des bakchichs réguliers pour garantir la sécurité des salariés et le transport des marchandises. Fusilier marin de formation, l’homme a servi trente-neuf ans sous l’uniforme, dont sept au commandement des opérations spéciales, avant de rejoindre le secteur privé. Livrer des confidences n’est pas dans sa culture. Aussi n’a-t-il pas restitué aux juges le contenu de ses échanges avec la DGSI. Dommage, car ils éclairent d’une lumière trouble cette étrange aventure.
UNE LISTE D’OBJECTIFS À SURVEILLER
L’histoire débute dans les confins de la Syrie, près de la bourgade de Jalbiyeh. C’est là qu’est implanté le site de Lafarge, à 160 kilomètres au nord-est d’Alep et à une quarantaine de kilomètres de Manbij, ville syrienne carrefour où ont notamment sévi les sinistres frères Clain, qui ont revendiqué au nom de l’EI les attentats du 13 novembre 2015 à Paris. Si la DGSI traque en priorité les djihadistes basés en France, elle ne s’interdit pas de les épier lorsqu’ils partent pour la Syrie, empruntant au passage le corridor frontalier situé à quelques nuages de poussière de l’usine de Lafarge. Chargée en outre de la protection des intérêts économiques nationaux, l’agence de renseignement entretient des relations étroites avec les géants industriels comme Lafarge – l’avocat de l’entreprise, Christophe Ingrain, l’a souligné dans une lettre adressée en octobre aux magistrats. Et comme l’affaire porte sur le financement du terrorisme, la même DGSI a fourni plusieurs officiers à la justice pour participer à l’enquête. Pouvait-on attendre d’eux qu’ils orientent leurs recherches vers leur propre service ?
De fait, les ordinateurs de Lafarge ont bien été saisis, mais on n’y a pas scruté les correspondances entre Jean-Claude Veillard et ses correspondants à la DGSI, si bien que les juges ont été privés d’une vingtaine d’échanges électroniques au contenu pourtant édifiant.
On peut y lire la prose de deux agents (appelons-les AB et TH) issus d’un bureau dénommé « groupe éco », qui sollicitent Veillard, lui répondent, évoquent des réunions avec le service antiterroriste. Dans un message, AB demande carrément au cadre de Lafarge de confier à ses contacts en Syrie des missions de renseignement. Grâce aux chauffeurs, employés, anciens policiers syriens et autres locaux ruinés par la guerre, la direction de la sûreté de Lafarge pilote un entrelacs relationnel bien informé. AB fournit une liste d’objectifs de surveillance dans des quartiers d’Alep, sur des planques et des bureaux, par où ont transité des djihadistes français. « Je ne vous fais pas l’affront de vous expliquer, écrit-il. Ça marche comme le renseignement militaire. »
En janvier 2013, les « agents » de Lafarge approchent l’un des djihadistes français les plus recherchés du moment, Kevin Guiavarch. Dans un courriel daté du 25 janvier 2013 à 10 h 15, la DGSI transmet à Veillard un message relatif à cet homme, dans l’espoir qu’un lien direct puisse être établi : « Voici les photos de mes deux amis, ça fait longtemps que je ne les ai pas vus. Je suis content que vous m’ayez donné des nouvelles. S’ils peuvent m’appeler, ça me ferait plaisir. Ils peuvent me communiquer leurs numéros, même celui d’un taxiphone, ils me bipent et je les rappellerai. À tout le moins, une adresse mail ferait l’affaire. » Un cliché du djihadiste lui-même accompagne l’e-mail, ainsi qu’un autre de Salma Oueslati, une islamiste niçoise. Guiavarch sera arrêté plus tard, lors d’un passage en Turquie en 2016.
D’autres conversations écrites trahissent une relation autorisée, validée. Comme le 15 mai 2013, lorsque l’homme de Lafarge transmet un tableur Excel énumérant une dizaine de brigades actives dans la région de l’usine, avec les noms des chefs, leurs numéros de portables syriens et turcs, leurs adresses électroniques, parfois leurs liens familiaux. La plupart d’entre eux contrôlent des check-points aux alentours. Commentaire de AB : « Je suis estomaqué, comment avez-vous fait pour obtenir ce genre d’infos ? Je pense que c’est exploitable. » Peu après, les agents de la DGSI réfléchissent à la manière de présenter cette belle trouvaille à leur hiérarchie, qui est ainsi informée de ce partenariat officieux. « Puis-je mettre que cette liste est établie dans l’objectif de sécuriser vos transactions et votre site ? », questionne l’officier de renseignement – le mot « transaction » est sans équivoque. Réponse de Lafarge : « Oui, nous nous appuyons sur ce réseau pour continuer à opérer et à gérer les différents incidents […]. Pas de soucis vis-à-vis de la hiérarchie. »
Au fil de mois, bien que les forces kurdes contrôlent un large périmètre autour de la cimenterie, son activité dans une zone désertée par la plupart des entreprises attire les convoitises et entraîne des dénonciations. Jean-Claude Veillard s’en inquiète. Le 22 janvier 2014, il confie à la DGSI : « Le fonctionnement de l’usine implique des relations avec les antagonismes locaux. Des informations négatives sur Lafarge ont été entendues sur les radios du Moyen-Orient. Mon objectif serait de vous rencontrer afin d’évaluer quel pourrait être le niveau d’exposition de notre siège et de nos dirigeants à Paris. » Un déjeuner a lieu quatre jours plus tard. À ce stade, ces professionnels du renseignement savent bien comment on se déplace et comment on travaille en Syrie, surtout dans une région où l’essentiel des échanges s’effectue en argent liquide (salaires, dépenses courantes, etc.). Dans l’un des courriels, on découvre d’ailleurs qu’un homme assure pour Lafarge la coordination de ces remises d’enveloppes dans le chaos syrien : « Un agrément a été signé entre les belligérants et l’usine par l’intermédiaire du bureau de Firas Tlass à Manbij. »
Firas Tlass, actionnaire (minoritaire) de l’usine et homme d’affaires influent, est un opposant résolu à Bachar El-Assad. Il est aussi l’un des fils de Moustapha Tlass, autrefois ministre de la Défense syrien et pilier du régime sous Hafez El-Assad, le père de Bachar. Dans le dossier d’instruction français, son nom est évoqué à de multiples reprises, comme celui d’un personnage à la fois incontournable et invisible. Réfugié dans le golfe Persique, il n’a – à ce jour – pas été interrogé par les juges. Mais il a accepté de nous répondre.
TRAHISONS ET ALLÉGEANCES SECRÈTES
Dubai, 25 novembre 2018. Le rendez-vous a été fixé dans l’un de ces restaurants syriens que la guerre a transportés dans des contrées moins tourmentées. Dans la salle, des familles bourgeoises de Damas ou d’Alep sont attablées. Affable, Firas Tlass évoque ses souvenirs d’études, de Paris, évoque un dîner avec Jacques Chirac dans l’hôtel particulier de sa sœur, Nahed Ojjeh, figure des réseaux politiques, culturels et d’affaires. Il veut bien parler du dossier Lafarge, mais reste elliptique sur son rôle relatif aux djihadistes. « J’en sais beaucoup, lâche-t-il. Les services français ont fait ce qu’il fallait. »
EXCLUSIF. Les mails secrets de l'affaire Lafarge
En apparence, tout est simple. Le groupe cimentier Lafarge, géant du CAC 40 à la réputation mondiale, aurait coopéré en Syrie avec l'organisation État islamique (EI) pour préserver ses inté...
https://www.lejdd.fr/International/exclusif-les-mails-secrets-de-laffaire-lafarge-3826412
Pour lui, l’histoire a commencé il y a dix ans. « C’est moi qui ai créé l’usine en 2007 avec ma société MAS Group, se souvient-il. J’ai choisi ce terrain à Jalbiyeh, près d’un cours d’eau, c’est mieux pour une cimenterie. » Il raconte l’acquisition du site par Lafarge, en 2008, puis le début de la guerre civile, quand tout a basculé. Il a fui la Syrie le 9 mars 2012 pour s’installer aux Émirats arabes unis, d’où il anime l’opposition en exil. Il gère aussi, à distance, l’usine de Lafarge en vertu d’un accord négocié à Paris en septembre 2012.
Au pays, à mesure que les infrastructures tombent en ruine, quelque 2.200 bandes armées se partagent le territoire. Formées selon le puzzle des quartiers, des confessions et des familles, elles multiplient alliances officielles, trahisons et allégeances secrètes. Au gré des intérêts, chacun de ces groupes parlemente avec le régime et ses supplétifs du Hezbollah (soutenu par l’Iran). Il y a là des Kurdes et des membres de l’Armée syrienne libre (soutenus par les Occidentaux) ; des milices du Front Al-Nosra (disposant de relais en Turquie et en Arabie saoudite), de Frères musulmans (appuyés par le Qatar et la Turquie) et bien sûr de soldats de Daech. Sur une liste qu’il exhibe devant nous, Firas Tlass a inscrit 23 de ces brigades pour la seule région de Manbij, illustration de l’éclatement des pouvoirs en une myriade de seigneurs et de chefaillons régnant sur un village, une route, un complexe sportif à l’abandon.
Face à un tel kaléidoscope, Firas Tlass s’agace de savoir les juges français en train de dénoncer des pratiques naguère approuvées par le contre-espionnage. À voix haute, il déplore aussi que l’enquête se fonde (en partie) sur le rapport d’audit d’un cabinet de conseil américain mandaté en 2016 par la nouvelle direction du groupe devenu LafargeHolcim. Ce document prétendait reconstituer les mouvements financiers au profit de groupes armés, comme s’il s’agissait d’une comptabilité officielle, alors qu’il ne s’appuyait que sur des témoignages épars et des documents officieux. Firas Tlass conteste la conclusion autant que la méthode.
Pour lui, aucun de ses hommes demeurés en Syrie n’a jamais eu l’intention d’enrichir l’EI.
Il admet cependant que ses fournisseurs n’ont pas tous eu les mêmes scrupules. « Mais parfois, en une journée, le même check-point tenu par le même groupe changeait de brassard et de drapeau, relativise-t-il. C’étaient des jeunes qui faisaient ça pour l’argent, pour survivre. À d’autres moments, quelqu’un proposait de faire passer le salaire de milicien à 250 dollars par mois au lieu de 200, et la moitié du groupe changeait de camp avant de se battre contre la première moitié ! » Sa conclusion : « Pour avoir une vision claire des choses, il faut voir les détails jour après jour, qui on a financé et quand. Quand un groupe rejoignait Daech, on arrêtait de le financer. »
À en croire Firas Tlass, la France ne méconnaissait pas ces réalités, voire en profitait ; surtout entre 2013 et 2014, quand sa priorité était d’obtenir le départ de Bachar El-Assad. Dans cette période-là, le maintien de Lafarge sur ce théâtre de guerre n’a pas choqué le ministère des Affaires étrangères. Interrogé en qualité de témoin, le diplomate chargé de suivre le conflit syrien depuis l’ambassade d’Amman, en Jordanie voisine, et qui communiquait avec les responsables de l’entreprise, l’a confirmé sans détour. À cette date, à l’Élysée (sous François Hollande) et au Quai d’Orsay, des stratèges rêvaient de voir la dictature céder face à l’Armée syrienne libre et aux groupes islamistes soutenus par le Qatar, l’Arabie saoudite et les Émirats – tous alliés de la France.
LE FLOU DISSIPÉ PAR LA FORCE
Quelques années plus tard, les promoteurs de ce plan sont couramment appelés « les naïfs du djihad » par les chercheurs arabisants familiers de la zone. Et les notes du Centre d’analyse, de prévision et de stratégie (Caps) du Quai d’Orsay témoignent de l’état d’esprit en vigueur au moment où Lafarge s’activait pour maintenir sa position en Syrie. En mars 2013, le désir de voir triompher l’insurrection syrienne pour contrer l’Iran et son bras armé dans la région, le Hezbollah, s’y exprime à livre ouvert. Le risque, c’est d’abord « l’engagement de l’Iran et du Hezbollah au côté du régime de Damas comme élément désormais structurel de la crise syrienne », peut-on lire. « Ce scénario déjà plus ou moins amorcé doit être stoppé. » A contrario, on s’étonne des craintes de la Russie : « Ses dirigeants sont obsédés par la montée d’une vague islamiste sunnite [en Syrie], perçue comme une menace… » C’est dire qu’à Paris on pense différemment.
Une thèse prédomine alors, celle des « trois nuances de vert », résumée dans une note datée de janvier 2015, selon laquelle l’islamisme des salafistes, celui des Frères musulmans et celui des djihadistes seraient étrangers les uns aux autres – alors que bien des dossiers le démentent, tel celui du prédicateur salafiste d’Artigat, formateur des frères Clain et des réseaux terroristes toulousains. Parties du centre de la diplomatie tricolore, ces confusions semblent avoir rayonné comme des ronds dans l’eau sur l’attitude des services et les relations avec leurs interlocuteurs, y compris chez Lafarge.
Le flou sera dissipé par la force, en septembre 2014, lors de la prise de la cimenterie par l’EI et le départ de ses salariés. Simultanément, une fusion s’engage entre la société française et son concurrent suisse Holcim. Dix-huit mois plus tard, le 25 février 2016, le site d’information syrien Zaman Al-Wasl publiera les premiers articles invoquant d’éventuels arrangements entre Daech et l’ancienne direction française de Lafarge. Le nouveau comité exécutif du groupe commande un audit, qui sera supervisé par Ryan Fayhee, ancien procureur chargé du contre-espionnage auprès du département américain de la Justice. Ses rapports ont contribué à nourrir l’accusation contre Lafarge.
Dans des notes de la DGSI récemment déclassifiées à la demande des juges, les agents chargés de la protection des intérêts économiques français soulignent quelques partis pris de Ryan Fayhee. Malgré les passages noircis (selon l’usage, afin de préserver la confidentialité), on devine que les rédacteurs de la DGSI sont les mêmes que les correspondants de Jean-Claude Veillard, l’ex-directeur de la sûreté de Lafarge. Au passage, ils évoquent la menace d’un coup fourré. Encore l’expert américain s’est-il abstenu d’extraire des ordinateurs de Lafarge, auxquels lui aussi a eu accès, les courriels compromettants échangés avec la DGSI. Dans les coulisses des guerres secrètes on ne laisse jamais entrer trop de lumière.
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