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Knock on Wood

Antigone de Jean Anouilh : Celle qui dit « non »

4 Février 2012 , Rédigé par Ipsus Publié dans #Dans L'AIR DU TEMPS

antigone-an-l.jpg

En 2012 on parle des " indignés "

Qu'en était-il en 1942 ? http://bit.ly/zqAZ1d

 

La pièce est composée sous sa forme quasi-définitive en 1942, et reçoit à ce moment l'aval de la censure hitlérienne.

Elle n'est jouée la première fois que deux ans après, le 4 février 1944, au théâtre de l'Atelier à Paris, sans doute à cause de difficultés financières.

Après une interruption des représentations en août 1944, due aux combats pour la libération de Paris, elles reprennent normalement. 

Le contexte historique :  http://bit.ly/zqAZ1d

Antigone est une pièce des années noires, lorsque la France connaît la défaite face aux armées nazies et elle tombe sous l'Occupation. Nous étudierons d'une part l'Occupation : la situation générale et ensuite la radicalisation du régime de Vichy et d'autre part les origines historiques de la pièce.

En 1942, Jean Anouilh réside à Paris, qui est occupée par les Allemands depuis la débâcle de 1940 et l'Armistice. La République a été abolie et remplacée par l'État français, sous la direction du maréchal Pétain. La France est alors découpée en plusieurs régions : une zone libre au Sud, sous l'administration du régime de Vichy, une zone occupée au Nord, sous la coupe des Allemands, une zone d'administration allemande directe pour les départements du Nord et du Pas-de-Calais, rattachés à la Belgique, une zone annexée au Reich : l'Alsace-Lorraine et enfin, une zone d'occupation italienne dans le Sud-Est (Savoie).

Refusant l'Armistice et le gouvernement de Vichy, le général Charles de Gaulle lance un appel aux Français le 18 juin 1940 depuis Londres et il regroupe ainsi autour de lui les Forces françaises libres (F.F.L.). C'est le début de la Résistance. Le 23 septembre 1941, un "Comité national français" a été constitué, c'est une première étape vers un gouvernement en exil. En métropole, la Résistance s'organise, tout d'abord de façon indépendante et sporadique (qui se produit occasionnellement), puis en se rapprochant de de Gaulle sous la forme de réseaux, comme Combat. En 1942, le mouvement a déjà pris une certaine ampleur qui se manifeste par des actes de sabotage et des attentats contre des Allemands et des collaborateurs ; l'armée d'occupation réplique par des représailles massives et sanglantes.

L'année 1942, marque un tournant décisif dans cette période. Les rapports de force se sont modifiés, car les États-Unis viennent de déclarer la guerre à l'Allemagne. En France, le 19 avril 1942, Pierre Laval revient au pouvoir après une éclipse d'un an et demi et accentue la collaboration avec Hitler. Dans un discours radiodiffusé le 22 juin 1942, il déclare fermement : "Je souhaite la victoire de l'Allemagne" et il crée le Service du travail obligatoire (S.T.O.) pour l'aider en envoyant des ouvriers dans leurs usines de guerre. La rafle du Vél. d'Hiv. le 16 juillet 1942 envoie des milliers de juifs, via Drancy, dans les camps de concentration de d'extermination.

Ce n'est qu'en 1944 que nazis et collaborateurs subissent de véritables revers. Le Comité national de la Résistance (C.N.R.), institué le 15 mai 1943, fédère les différentes branches de la lutte antinazie et prépare l'après-guerre. Le 6 juin 1944, le débarquement des Alliés en Normandie déclenche l'insurrection des maquis en France et organise la reconquête du territoire français. Paris se soulève avant le moment prévu et se libère seul fin août 1944.

Avant même que la guerre ne soit terminée, l'épuration se met en place : de nombreux sympathisants du régime de Vichy sont jetés en prison et condamnés, certains sont exécutés, parfois sans procès ; les milieux culturels (journalistes, écrivains et acteurs) ne sont pas épargnés. C'est dans ce climat troublé que de Gaulle regagne la France et en assure dans un premier temps le gouvernement.


C'est à un acte de résistance qu'Anouilh doit l'idée de travailler sur le personnage d'Antigone. En août 1942, un jeune résistant, Paul Collette, tire sur un groupe de dirigeants collaborationnistes au cours d'un meeting de la Légion des volontaires français (L.V.F.) à Versailles, il blesse Pierre Laval et Marcel Déat. Le jeune homme n'appartient à aucun réseau de résistance, à aucun mouvement politique ; son geste est isolé, son efficacité douteuse. La gratuité de son action, son caractère à la fois héroïque et vain frappent Anouilh, pour qui un tel geste possède en lui l'essence même du tragique. Nourri de culture classique, il songe alors à une pièce de Sophocle, qui pour un esprit moderne évoque la résistance d'un individu face à l'État. Il la traduit, la retravaille et en donne une version toute personnelle.

La nouvelle Antigone est donc issue d'une union anachronique, celle d'un texte vieux de 2400 ans et d'un événement contemporain. 

 

- Extraits : http://www.bacdefrancais.net/ant.php 

antigone-142622

 http://bit.ly/z6OU1u  "Celle qui dit « non »  ( video )

 

CRÉON
Un matin, je me suis réveillé roi de Thèbes. Et Dieu sait si j'aimais autre chose dans la vie que d'être puissant...

ANTIGONE
Il fallait dire non, alors !

CRÉON
Je le pouvais. Mais, je me suis senti tout d'un coup comme un ouvrier qui refusait un ouvrage. Cela ne m'a pas paru honnête. J'ai dit « oui ».

ANTIGONE
Hé bien, tant pis pour vous. Moi, je n'ai pas dit « oui » ! Qu'est-ce que vous voulez que cela me fasse, à moi, votre politique, vos nécessités, vos pauvres histoires ? Moi, je peux dire « non » encore à tout ce que je n'aime pas et je suis seul juge. Et vous, avec votre couronne, avec vos gardes, avec votre attirail, vous pouvez seulement me faire mourir parce que vous avez dit « oui ».

CRÉON
Écoute-moi.

ANTIGONE
Si je veux, moi, je peux ne pas vous écouter. Vous avez dit « oui ». Je n'ai plus rien à apprendre de vous. Pas vous. Vous êtes là, à boire mes paroles. Et si vous n'appelez pas vos gardes, c'est pour m'écouter jusqu'au bout.

CRÉON
Tu m'amuses.

ANTIGONE
Non. Je vous fais peur. C'est pour cela que vous essayez de me sauver. Ce serait tout de même plus commode de garder une petite Antigone muette et vivante dans ce palais. Vous êtes trop sensible pour faire un bon tyran, voilà tout. Mais vous allez tout de même me faire tuer tout à l'heure, vous le savez, et c'est pour cela que vous avez peur. C'est laid un homme qui a peur.

CRÉON, sourdement.
Oui, oui, oui j'ai peur. J'ai peur d'être obligé de te faire tuer si tu t'obstines. Et je ne le voudrais pas.

ANTIGONE
Et moi, je ne suis pas obligée de faire ce que je ne voudrais pas ! Vous n'auriez pas voulu non plus, peut-être, refuser une tombe à mon frère ? Dites-le donc, que vous ne l'auriez pas voulu ?

CRÉON
Je te l'ai déjà dit.

ANTIGONE
Et vous l'avez fait tout de même. Et maintenant, vous allez me faire tuer sans le vouloir. Et c'est cela, être roi !

CRÉON
Oui, c'est cela !

ANTIGONE
Pauvre Créon ! Avec mes ongles cassés et pleins de terre et les bleus que tes gardes m'ont fait aux bras, avec ma peur qui me tord le ventre, moi je suis reine.

CRÉON
Alors, aie pitié de moi, vis. Le cadavre de ton frère qui pourrit sous mes fenêtres, c'est assez payé pour que l'ordre règne dans Thèbes. Mon fils t'aime. Ne m'oblige pas encore à payer avec toi. J'ai assez payé.

ANTIGONE
Non. Vous avez dit « oui ». Vous ne vous arrêterez jamais de payer maintenant !

CRÉON, la secoue soudain, hors de lui.
Mais enfin, bon Dieu ! Essaie de comprendre une minute, toi aussi, petite idiote ! J'ai bien essayé de te comprendre, moi. Il faut pourtant qu'il y en ait qui disent « oui ». Il faut pourtant qu'il y en ait qui mènent la barque parce que ça prend l'eau, ça prend l'eau de toutes parts, c'est plein de crimes, de bêtise, de misère... Est-ce que tu le comprends, cela ?

ANTIGONE, secoue la tête.
Je ne veux pas comprendre. C'est bon pour vous. Moi, je suis là pour autre chose que pour comprendre. Je suis là pour vous dire non et pour mourir.
parthenon.jpg

« Antigone va mourir » nous annonce le Prologue, héritier du chœur antique, devenu sous la plume de Jean Anouilh et à travers la remarquable interprétation de Bernard Dhéran, un médiateur au cynisme irrésistible. Il nous rappelle que tout est déjà écrit, car c'est le propre de la tragédie, mais nous rassure en précisant que nous, spectateurs, n'aurons pas à mourir ce soir. Ces principes d'importance étant posés, c'est au tour de la voix courageuse de celle qui a dit « non » de s'élever. http://bit.ly/g4T3Af
Sachant son destin scellé, la jeune Antigone demeure fidèle à ses convictions. Elle n'est prête à aucune compromission et pour faire respecter la dignité d'un frère dont on veut abandonner le cadavre aux prédateurs, n'hésite pas à enfreindre la loi. Face à elle, son oncle Créon, roi de Thèbes, compose avec le pouvoir. Prisonnier de ses royales responsabilités, il se voit contraint de mettre à mort sa propre nièce. Dans cette cruelle confrontation, Barbara Schulz et Robert Hossein incarnent à eux seuls l'éternelle dichotomie entre révolte individuelle et impératifs du pouvoir.
La mise en scène de Nicolas Briançon transcende le temps : la tragédie se déchaîne entre les murs sombres d'un décor en demi-lune, couleur de pierre : et voici que la nuit tombe sur un théâtre antique… Le choix des costumes est caractérisé par son hétérogénéité : habits des femmes à l'antique, évocation des heures sombres du nazisme dans la mise de Créon et futurisme « à la Matrix » pour les gardes. La fable  s'inscrit dès lors dans une dimension intemporelle, pour nous rappeler deux vérités : les tyrans n'appartiennent malheureusement pas à un passé révolu et Antigone la passionnée ne vieillira jamais.

antigone-video.jpg

- Videos http://bit.ly/yCf8eT

Présentation de la pièce :  http://bit.ly/zqAZ1d

Il faut garder en mémoire que dans la pièce de Sophocle le personnage tragique n'est pas Antigone, mais Créon. Comme Œdipe, son neveu, dont il prend la suite, Créon s'est cru un roi heureux. En cela, il fait preuve de "démesure" (ubris, en grec), pour cela il doit être puni. Antigone est l'instrument des dieux, Hémon le moyen, Créon la victime. Lui seul est puni en fin de compte. La mort d'Antigone n'est en rien une punition, puisqu'elle n'a commis aucune faute, au regard de la loi divine - au contraire. La tragédie est celle d'un homme qui avait cru à son bonheur et que les dieux ramènent aux réalités terrestres.

Représentée dans un Paris encore occupé, Antigone à sa création a suscité des réactions passionnées et contrastées. Le journal collaborationniste Je suis partout porte la pièce aux nues : Créon est le représentant d'une politique qui ne se soucie guère de morale, Antigone est une anarchiste (une "terroriste", pour reprendre la terminologie de l'époque) que ses valeurs erronées conduisent à un sacrifice inutile, semant le désordre autour d'elle. Des tracts clandestins, issus des milieux résistants, menacèrent l'auteur. Mais simultanément, on a entendu dans les différences irréconciliables entre Antigone et Créon le dialogue impossible de la Résistance et de la collaboration, celle-là parlant morale, et celui-ci d'intérêts. L'obsession du sacrifice, l'exigence de pureté de l'héroïne triomphèrent auprès du public le plus jeune, qui aima la pièce jusqu'à l'enthousiasme. Les costumes qui donnaient aux gardes des imperméables de cuir qui ressemblaient fort à ceux de la Gestapo aidèrent à la confusion. Pourtant, même sur ces exécutants brutaux Anouilh ne porte pas de jugement : "Ce ne sont pas de mauvais bougres, ils ont des femmes, des enfants, et des petits ennuis comme tout le monde, mais ils vous empoigneront les accusés le plus tranquillement du monde tout à l'heure. Ils sentent l'ail, le cuir et le vin rouge et ils sont dépourvus de toute imagination. Ce sont les auxiliaires toujours innocents et toujours satisfaits d'eux-mêmes de la justice.". Et ne pas juger ces "auxiliaires de la justice", les excuser même, un an après la rafle du Vel'd'Hiv peut paraître un manque complet de sensibilité - ou la preuve d'une hauteur de vue qui en tout cas démarque la pièce de l'actualité immédiate.

Même si les positions politiques ultérieures d'Anouilh, et tout son théâtre, plein de personnages cyniques et désabusés, le situent dans un conservatisme ironique, on peut postuler qu'Antigone est en fait une réflexion sur les abominations nées de l'absence de concessions, que ce soit au nom de la Loi (Créon) ou au nom du devoir intérieur (Antigone). C'est le drame de l'impossible voie moyenne entre deux exigences aussi défendables et aussi mortelles, dans leur obstination, l'une que l'autre.

antigone-lue-par-jean-anouilh-cd-audio.jpg     http://bit.ly/xu9gLH 

Les personnages de la pièce http://bit.ly/zqAZ1d

Les relations entre personnages sont en partie imposées par le modèle de Sophocle et la mythologie.

Les liens de parenté ne sont aucunement modifiés, et l'on retrouve le traditionnel tableau de famille des Labdacides.

Antigone :

Personnage central de la pièce dont elle porte le nom, Antigone est opposée dès les premières minutes à sa sœur Ismène, dont elle représente le négatif. "la petite maigre", "la maigre jeune fille moiraude et renfermée" (p. 9), elle est l'antithèse de la jeune héroïne, l'ingénue, dont "la blonde, la belle, l'heureuse Ismène" est au contraire l'archétype.

Comme Eurydice, comme Jeanne d'Arc dans L'Alouette, elle a un physique garçonnier, sans apprêts : elle aime le gris : "C'était beau. Tout était gris", "monde sans couleurs", "La Nourrice (...) Combien de fois je me suis dit : "Mon Dieu, cette petite, elle n'est pas assez coquette ! Toujours avec la même robe et mal peignée", Antigone le dit elle même : "je suis noire et maigre".

Opiniâtre, secrète, elle n'a aucun des charmes dont sa sœur dispose à foison : elle est "hypocrite", a un "sale caractère", c'est "la sale bête, l'entêtée, la mauvaise". Malgré cela, c'est elle qui séduit Hémon : elle n'est pas dénuée de sensualité, comme le prouve sa scène face à son fiancé, ni de sensibilité, dont elle fait preuve dans son dialogue avec la Nourrice.

Face à Ismène, Antigone se distingue au physique comme au moral, et peut exercer une véritable fascination : Ismène lui dit : "Pas belle comme nous, mais autrement. Tu sais bien que c'est sur toi que se retournent les petits voyous dans la rue ; que c'est toi que les petites filles regardent passer, soudain muettes sans pouvoir te quitter des yeux jusqu'à ce que tu aies tourné le coin." (pages 29-30)

Comme le basilic des légendes, dont le regard est mortel, Antigone pétrifie et stupéfait, car elle est autre. Son caractère reçoit cette même marque d'étrangeté qui a séduit Hémon et qui manque à Ismène, ce que Créon appelle son orgueil. Quelque chose en elle la pousse à aller toujours plus loin que les autres, à ne pas se contenter de ce qu'elle a sous la main : "Qu'est-ce que vous voulez que cela me fasse, à moi, votre politique, votre nécessité, vos pauvres histoires ? Moi, je peux encore dire "non" encore à tout ce que je n'aime pas et je suis seule juge." (p. 78)

Cette volonté farouche n'est pas tout à fait du courage, comme le dit Antigone elle-même (p. 28) ; elle est une force d'un autre ordre qui échappe à la compréhension des autres.

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