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Knock on Wood

40 ans dans les cités : Michel Aubouin

28 Décembre 2019 , Rédigé par Ipsus Publié dans #Dans L'AIR DU TEMPS

Vous aviez aimé les Territoires perdus de la République en 2002 ? 

En 2019 on ne les a toujours pas retrouvés

et Michel Aubouin nous donne quelques clefs pour décoder l'air du temps

en  dressant un état des lieux sans concession des « quartiers » devenus zones de non-droit

selon une expression à la mode :
tout çà pour çà 
vu le " pognon de dingue" déversé " dans ces zônes de " non droit "

Elles sont environ cinquante aujourd'hui en France : cités gangrenées par la drogue, l'islamisation, la violence. Etat des lieux et aveu d'échec terrible, par un haut fonctionnaire issu de ces banlieues qui les a sillonnées pendant plus de quarante ans. Michel Aubouin témoigne de la réalité de ces zones devenues " de non-droit ".
Comment en est-on arrivé là ?

"Mon témoignage n'est pas seulement celui d'un haut fonctionnaire, au contact d'une réalité que beaucoup ignorent ; il est aussi celui d'un homme d'âge mûr qui se souvient de son enfance en HLM, des copains de jeu de son quartier, qui a vécu, depuis Dreux, le basculement politique de la France, qui franchi toutes les étapes d'une carrière exaltante sans jamais rompre avec ses origines, qui peut donc décrire le demi-siècle passé, celui d'une lente et inexorable dérive dont nous craignons l'issue."
Michel Aubouin

Historien de formation, Michel Aubouin, préfet, a quitté ses fonctions et son devoir de réserve.
Les banlieues, il les connaît depuis quarante ans, il y a enseigné puis mené plusieurs missions pour le ministère de l'Intérieur. Il a vu, au cours du temps, comment certains quartiers sont devenus des zones de non-droit. En quatre décennies, Michel Aubouin a rencontré tous les acteurs et professionnels concernés : des architectes aux sociologues, des hommes politiques aux acteurs de la vie associative et aux hommes de foi, qu'ils soient prêtres ou imams. Il a croisé leurs expériences et leurs regards. Il a souvent proposé d'agir dans le sens du "vivre ensemble", sans être toujours entendu...
Dans 40 ans dans les cités, il raconte, à travers les grands événements auxquels ont été confrontés les Français, le fil continu d'une lente dérive et nous livre avec son regard un état des lieux de ces "quartiers" rongés par la drogue et la radicalisation.
Une enquête à 360° au plus près des faits et de la réalité.
Michel Aubouin constate mais ne renonce pas ; lui-même, enfant des cités, s'est issé là où personne ne l'attendait.
Il veut encore croire aux bonnes volontés et à une prise de conscience salutaire.

21/03/2019 : Nous avons interrogé Michel Aubouin, dans une interview sans langue de bois, durant laquelle nous avons évoqué l’immigration, la violence en banlieue, la trahison des politiques ou leur incompétence, les solutions pour éviter le pire… Explosif.

Breizh-info.com : Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

Michel Aubouin : J’ai fait une longue carrière au ministère de l’Intérieur, que je viens d’achever. J’ai été préfet, sous-préfet. Et avant, j’avais fait une première carrière dans l’enseignement. Dans le cadre de mes travaux, j’ai beaucoup écrit autour de la question des banlieues, et des institutions (la police notamment). J’ai été préfet à Wallis-et-Futuna. J’ai été en poste dans l’Essonne pendant 4 ans également, à Nancy également, et sur quelques autres postes plus éloignés des banlieues.

Breizh-info.com : Vous publiez un livre sous forme d’état des lieux des banlieues. Qu’avez-vous voulu décrire dans ce livre ?

Michel Aubouin : Je me suis interrogé à savoir comment nous en sommes arrivés là. On connaît la situation dramatique actuelle, mais on connaît moins comment elle a pu se produire. J’ai revisité ces 45 dernières années, pour comprendre. Mon premier contact avec les banlieues a été dans la ville de Dreux, début des années 70, dans le quartier de Chamard, quartier considéré comme tendu, voire dangereux, à l’époque.

Une fois qu’on a essayé de comprendre comme c’est né, pourquoi ces quartiers se sont détachés de la République, on arrive à la situation d’aujourd’hui. J’ai hésité un peu avant d’écrire ce livre. J’ai arrêté mes fonctions au sein du ministère de l’Intérieur sinon je n’aurai pas pu le faire. Car je trouve que la situation d’aujourd’hui est très grave.

Je suis parti pour l’écrire de mon vécu. À partir de ma propre expérience. Ce n’est pas un essai, pas un travail de sociologue. C’est un récit personnel. Je donne beaucoup d’exemples.

Breizh-info.com : Est-ce que ce n’est pas un peu facile, une fois sa carrière derrière soi, de parler de problèmes gravissimes ? Vous qui avez été en première ligne dans les banlieues, n’est-ce pas un peu tard pour décrire cette situation et la dénoncer ?

Michel Aubouin : Tant que j’étais préfet, je n’avais pas le droit de m’exprimer. Je l’ai fait en interne. Pendant longtemps, j’ai œuvré en interne du ministère de l’Intérieur. J’ai rendu un rapport au Premier ministre. Pour faire bouger les lignes au sein de l’administration. À un certain moment, je me suis dit que la prise de conscience n’était pas assez grande. Alors fallait-il partir avant, ou pas… faut-il témoigner ou pas ? Je pense que c’est mon devoir de le faire. J’ai fait ce que j’ai pu à titre personnel pour que la situation s’améliore.

Ce que je constate, c’est que non seulement la situation ne s’est pas améliorée, mais que même des solutions que l’on pensait avoir trouvées n’étaient pas les bonnes.

Breizh-info.com : N’y a-t-il pas une hypocrisie géante sur la question des banlieues, avec ce refus systématique d’assimiler les problèmes des banlieues à l’immigration ? Il a encore été dit récemment qu’il était impossible de recenser le nombre d’habitants en Seine-Saint-Denis, cela signifie que les autorités ne savent pas qui vit dans ce département… Ne doit-on pas faire ce lien entre problèmes dans les banlieues et immigration ?

Michel Aubouin : C’est le lien que je fais. On sous-estime cette réalité. Les gens qui sont payés pour réfléchir au sujet n’habitent pas dans les banlieues. Moi j’ai un avantage par rapport à d’autres c’est que j’y suis né, j’y ai grandi, j’ai gardé beaucoup de contacts. Je connais de l’intérieur le sujet.

La question de l’immigration est centrale. Si les flux de l’immigration ne se poursuivaient pas, on pourrait éteindre l’incendie des banlieues. On ne peut pas, car cette année encore, on a des gens qui rentrent sur le territoire national, et qui vont s’installer en partie dans ces logements.

Jusqu’à maintenant, pour différentes raisons pas toujours explicables, on n’a pas voulu relier la question du logement, de l’habitat HLM, avec la question des immigrés, la question de la sécurité, et celle du trafic de drogue. Dans le rapport que j’avais rendu sur la situation de Grigny, j’avais dit qu’on ne pouvait pas travailler sur un quartier sans tenir compte des populations y vivant.

Les populations qui y vivent sont pour beaucoup de cultures étrangères. Essayons de voir comment ils vivent pour comprendre ces quartiers. C’était innovant, et ça ne s’est pas fait. Parce que la politique de l’immigration n’est pas explicitée en France.

Personne ne vous donne les chiffres, personne ne réfléchit à la façon dont il faudrait traiter ces questions. Je suis sévère dans mes propos. C’est moi qui ai donné pour la première fois en France le chiffre des 200 000 nouveaux arrivants. Il était connu au ministère de l’Intérieur, mais n’avait jamais été donné. La vérité c’est que le chiffre augmente. On a commencé à comprendre quelle était l’ampleur du sujet.

200 000 personnes nouvelles par an, ça fait du monde.

Breizh-info.com : Vous qui êtes un gamin des banlieues – pas les mêmes à l’époque – vous qui êtes un ancien préfet, quand on vous parle de Grand remplacement, est-ce que ça vous parle ? Il semblerait que ce soit une réalité dans les banlieues…

Michel Aubouin : Oui, il y a une polémique sur le sujet. La population française n’a pas été totalement remplacée, vous avez des territoires, comme en Bretagne, qui sont préservés de ces risques de remplacement. Ce qui est vrai, c’est que dans certains territoires de la République, la population a été remplacée ou est en voie de l’être. Dès lors que vous faites rentrer 250 000 nouvelles personnes chaque année (multipliez par 2 en comptant les enfants puisqu’on ne les compte pas dans les chiffres), cela vous fait rapidement 1 million de personnes en plus. Ces gens qui viennent occupent du terrain.

On sous-estime par ailleurs les sorties, les Français qui partent à l’étranger. On a des entrées d’un côté, des départs de l’autre, évidemment, c’est très visible dans certains territoires, en Seine-Saint-Denis, dans le Val d’Oise. Et c’est encore plus visible dans certains quartiers où cette population étrangère se concentre. On est un peu sorti de la France dans ces quartiers d’une certaine façon. L’école existe encore, mais les modes de vie étrangers au nôtre règnent.

Breizh-info.com : Quand vous étiez préfet, ou à l’Intérieur, vous parliez aux responsables politiques. Que répondaient-ils à vos constats ?

Michel Aubouin : Le ministre de l’Intérieur voit le sujet sous l’angle uniquement du crime et de la délinquance. Il ne traite pas la question du logement social. Pourtant, elle est fondamentale. On n’a pas arrêté de construire des logements sociaux pour fixer les populations étrangères dans certains quartiers. Nous sommes le premier pays d’Europe par le nombre de logements sociaux. Le ministre de l’Intérieur ne traite pas cela.

La question de l’école est importante. Si on voulait intégrer, il faudrait la traiter. Mais notre école est en grande difficulté, et le ministre de l’Intérieur n’en sait rien. J’avais voulu expliquer au Premier ministre à l’époque que le sujet des banlieues ne concernait pas que l’Intérieur. C’est un sujet du gouvernement dans son ensemble. Mais dans ce gouvernement, personne ne prend ça à  bras le corps. Que ce soit ce gouvernement ou un autre d’ailleurs.

Breizh-info.com : Il n’y a aucune volonté de travailler en commun sur le sujet dans les ministères ?

Michel Aubouin : Non, car chacun a son avis sur la question, chacun travaille dans son coin, sur ce sujet précis. Le Quai d’Orsay a des positions parfois contradictoires avec celles du ministère de l’Intérieur. Quand l’Intérieur veut bloquer les entrées, le Quai d’Orsay parfois, les favorise. C’est parfois la cohésion d’ensemble qui ne fonctionne pas.

Je le dis dans mon livre, quand on est ministre, haut fonctionnaire, dans un milieu protégé, on n’a pas conscience de ce qu’il se passe à dix kilomètres. Je le sais, car j’ai vécu dans ce milieu-là. Il y a une grande myopie par rapport à tout cela. On ne comprend pas la situation. Quand ça a explosé en 2005, tout le monde s’est demandé ce qu’il se passait. Depuis, les incendies sont là, moins graves, et on n’imagine pas que cela revienne un jour, c’est une forme de myopie. Il n’y a pas que les politiques, peut-être que les Français aussi ne sont pas conscients de cette situation.

Breizh-info.com : Les Gilets jaunes sont quand même l’exemple d’une certaine colère, d’un certain ressenti, aussi vis-à-vis de cette situation (même non dite), non ? Vu de Bretagne, quand on compare le nombre de plans banlieues, et de milliards d’euros qui ont été déversés en banlieue comparée à ce qui est attribué à la France rurale, à la jeunesse rurale il n’y a pas photo non plus (n’importe quel ministre serait scotché devant la misère sociale en Centre Bretagne)… mais pas de casse non plus…

Michel Aubouin : Je suis complètement d’accord avec vous. Même sans aller jusqu’en Bretagne, c’est le cas. J’étais dans l’Oise récemment, vous avez des quartiers comme à Creil où des centaines de millions d’euros ont été déversés. 10 km plus loin, on se retrouve dans la campagne picarde, et là c’est le désespoir, avec des gens livrés à eux-mêmes, sans aucune aide. En plus si d’un côté on a dans les gens aidés ceux qui viennent tout juste d’arriver (pas toujours de façon régulière), et de l’autre des Français qui sont dans leur village depuis toujours… Évidemment, il y a un clivage qui va s’instaurer dans le pays, pas sain du tout.

On a mis beaucoup d’argent dans les banlieues, car on pensait éteindre l’incendie. En fait, on n’a rien éteint du tout, malgré tout l’argent dépensé par la politique de la ville. On a toujours autant de problèmes. Ce n’était pas la rénovation des immeubles le sujet. C’était l’expansion de l’activité criminelle. Petit à petit la façon dont ces banlieues se sont séparées du reste du pays.

Breizh-info.com : En tant que préfet vous avez été le personnage principal de l’État sur un territoire donné. Pour éviter une explosion généralisée, une guerre civile en France, quelles mesures d’urgence prendriez-vous, immédiatement ?

Michel Aubouin : Il faut de façon immédiate faire l’inventaire précis de la situation dans tous ces quartiers, dans lesquels on a du mal à avoir des informations. Remettre des forces de police et de gendarmerie là où c’est nécessaire. Arrêter de construire des immeubles là où il y a déjà des problèmes. Après, je pense que le plus sage serait de revoir les règles d’attribution des logements sociaux.

J’étais il y a peu dans une commune avec un quartier avec de gros problèmes en raison d’une famille qui dirigeait tout un trafic de crack (production, distribution). Le maire demandait le départ pour désordre dans la commune de la famille. Cela a été très compliqué. Et en plus, la loi Borloo l’a obligé à trouver un relogement.

Donc vous avez des gens qui créent du désordre, qui gagnent de l’argent (le trafic de drogue génère beaucoup d’argent), qui vivent dans un HLM subventionné (APL) et qu’on ne peut pas déplacer sans être obligé de reloger. Il faut arrêter. La loi existe, mais ce que la loi a pu faire, elle peut le défaire.

Dès le départ, on doit repérer les individus qui mettent le cirque dans ces quartiers, qui vivent parfois richement (investissement à l’étranger) sur le dos des honnêtes Français. Ce sont des mesures qui peuvent être prises.

Après, est-on en capacité de répondre à la crise sur le moment ? Je pense que non. On n’a plus qu’à prier pour que ça n’arrive pas trop tôt.

Breizh-info.com : Vous avez dit que la question des banlieues ne se réglerait pas tant que les flux migratoires continueraient. N’y a-t-il pas quelque chose à voir de ce côté-là aussi ?

Michel Aubouin : Oui c’est évident. Dès lors qu’on n’a pas les moyens d’intégrer les gens, de les loger, de leur donner un travail, de leur apprendre le français, à un moment il faut dire stop. Tous les grands pays démocratiques ont une politique d’immigration. J’étais dans le Pacifique. En Australie, en Nouvelle-Zélande, ils ont un système de régulation des migrations. Ils décident qu’ils recevront tant de migrants, de telle ou telle nationalités, en fonction des besoins du marché, à petite dose. C’est limité et ils savent combien.

Nous, tout le monde rentre. Et ceux qui n’ont pas le droit de rentrer, qui sont en délit, finissent par être régularisés. Notre système est complètement fou. Le hasard fait que ce ne sont pas des entrées en masse immenses (ils ne viennent pas tous en France, car ils savent que c’est compliqué de trouver du travail). Mais il faut réguler. Il y a des moyens juridiques pour le faire. Le tout c’est que quelqu’un s’en occupe, y compris le Parlement.

La question des migrations doit être discutée et votée à l’Assemblée nationale, au Sénat, comme on fait la politique de l’industrie, agricole, d’aménagement du territoire… Il y a toute une série de politiques discutées en France, sauf celle de l’immigration, sur laquelle vous n’avez pas les chiffres, vous ne savez pas qui rentre, vous ne savez pas où sont les curseurs…

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